
La pluralité des points de vue sur la notion de respect montre bien sa complexité. Nous avons interrogé des professionnels et des usagers sur leur conception de la naissance respectée. Voici quelques morceaux choisis.
« La participation consciente et active de la mère pendant son accouchement favorise un bon démarrage de l’allaitement, en consolidant le couple mère-enfant »1
On ne sait pas tout
Frédérique Horowitz, doula, auteure
<<La naissance peut être envisagée à partir de plusieurs angles de compréhension. Je choisis délibérément celui de la physiologie. Physiologiquement, la naissance est le processus par lequel un fœtus s’expulse du corps de sa mère. Une naissance respectée implique que ce processus complexe se déroule de la manière qui convient le mieux à la dyade corps maternel – corps fœtal. Respecter la naissance, c’est aussi admettre qu’il y a encore beaucoup de paramètres dans son déroulement que ni la science, ni la médecine ne peuvent expliquer. Respecter ce que nous ne comprenons pas et nous soumettre au processus de la naissance est un bon moyen de débrancher le néocortex et laisser le corps faire son travail. Le respect de la naissance, c’est un double respect : celui de la mère, de sa capacité intrinsèque à accompagner la sortie de son hôte vers le monde aérien et celui de la capacité qu’a l’enfant qui naît à faire le trajet vers le monde extérieur. Ceux qui accompagnent une naissance doivent aussi se respecter suffisamment eux-mêmes, et entre eux, pour offrir au naissant et à sa mère les meilleures conditions possibles pour que l’un donne et que l’autre vienne à la vie. >>
Donner du temps…
Françoise Bardes, sage-femme AAD
<<De son temps, à ce couple-là, cette femme-là, ce bébé-là. Du temps pour les écouter, du temps pour laisser advenir : un travail long ne signifie pas pathologie. Si bébé et mère vont bien, où est l’urgence ? Une délivrance que l’on attend n’est pas forcément pathologique. Cela nécessite d’être confiants, nous les soignants, d’être à l’écoute de comment ils vivent ces temps. Si nous devons transférer, que la structure où nous transférons nous accueille sans penser d’abord que nous sommes des fous. Juste que nous avons besoin d’aide, pas de critique, pas de leur peur. Respecter le temps de rencontre : ne pas se précipiter entre le bébé et ses parents, ne pas parler, les laisser se découvrir. Du temps, de la discrétion, du soutien aussi. Des cocktails riches en attention et émotion. Et si tout ne se passe pas “bien”, l’accompagnement se poursuit après : écouter la douleur, les blessures… Le temps qui s’est accéléré est à reprendre, tranquillement. >>
Préserver l’enfant en devenir
Aude Van den Brule, énergéticienne
<<J’accueille en amont les femmes désirant un enfant ou lorsqu’elles sont enceintes. J’aime leur parler de la maison de naissance que je connais : un endroit accueillant, souriant et très professionnel. Mon travail est de les soulager de leurs maux dus à la grossesse et parfois d’aider les petites anxiétés à s’évanouir. Pendant la grossesse, je cherche à préserver l’énergie de la mère et protéger celle de l’enfant à venir qui peut alors développer tranquillement sa propre énergie. Une naissance respectée serait dans l’idéal d’accueillir les futurs parents dans un “cocon” où ils peuvent être accompagnés par une sage-femme jusqu’à la naissance de leur enfant, échanger, comprendre et avoir le choix pendant l’accouchement. Donner naissance est précieux, c’est un moment dont on se souviendra toute la vie. Une naissance respectée, c’est donner toutes les chances à l’être en devenir. >>
On ne sait pas forcément ce qu’est le respect au moment de la naissance
Viviane Lemaigre Dubreuil, accompagnante à la parentalité
<<Une naissance respectée, c’est d’abord respecter le bébé qui naît, mais aussi les parents qui naissent à nouveau à chaque enfant. Le respect est un sentiment qui incite à traiter quelqu’un avec égards et considération, à prendre en compte la dignité de la personne humaine, l’expérience intime, ses besoins. Cela doit se traduire par une attitude honnête et décente vis-à-vis d’un enfant, d’une femme, d’un couple. Ainsi une naissance où des choix sont faits au mépris des besoins du bébé n’est pas respectée, même si ce sont les choix des parents. Idem en sens inverse, où quelque chose est imposé à la femme, même consentante, alors qu’on peut faire autrement. Par exemple, s’exposer les jambes ouvertes à des étrangers inconnus. La plupart des femmes diront que cela ne les gênent pas. C’est bien là le problème : le manque de conscience des femmes et de leurs hommes envers des protocoles qui servent le système avant la mère et le bébé, et envers une indignité imposée qui n’est même plus visible en tant que telle. Violence ordinaire devenue invisible. Informer ne suffit pas : l’information doit être intégrée dans le corps et dans la conscience pour être utile. Une naissance respectée se préoccupe de la dignité et de la liberté de chacun, de ses besoins, de son intimité et met la femme, le bébé et l’homme en contact direct avec leurs ressources propres. Ainsi, pour moi, le corps de la femme et son intimité n’appartiennent qu’à elle, et certainement pas à une haute autorité représentée par le corps médical. Encore faut-il que la femme se les soit appropriés ! À elle de poser ses limites et d’imposer son propre style, d’indiquer son chemin, de faire confiance à son bébé, à son homme, à elle-même et aux forces énormes de la nature. L’homme n’a pas non plus à abdiquer devant l’autorité. Il s’agit de la mère de son enfant et de son enfant, et il a une place forte. Encore faut-il là aussi qu’il se l’approprie. Quant au bébé, il a une multitude de besoins, qui doivent être écoutés au mieux, et cela veut dire lâcher beaucoup de “conforts” artificiels et d’idées reçues, revenir à des choses simples et de bon sens, instinctives, rester dans la physiologie et le continuum et considérer le bébé comme une personne à part entière. La naissance est respectée aussi lorsqu’elle est considérée en tant qu’événement sacré, mystérieux, fondateur, initiatique… et protégée en tant que telle : lorsque chaque naissance est considérée par les accompagnants comme leur première expérience (à l’inverse d’une routine) et comme un honneur qu’on leur fait d’accepter leur présence et leurs services. Enfin, pour moi, la naissance prend du temps. Elle n’est pas terminée une fois le bébé mis au monde. Il y a toute une alchimie qui prend… une année environ (en tous cas neuf mois au moins) avant que l’état de survie avec ses besoins fondamentaux ne laissent la place à plus de capacités d’adaptation et de flexibilité. Pour moi, ce temps-là, aussi avec l’adaptation et le développement considérables de la mère et du bébé, doit être respecté pour que la naissance le soit. >>
Redonner confiance
Dr Corinne Avogadri-Boyer, homéopathe
<<La naissance ne se résume pas à la douleur. Une naissance respectée permet à la femme de faire la rencontre la plus importante de toute sa vie : la rencontre avec son enfant. C’est un moment unique et il n’y aura pas de deuxième fois ! Trop souvent, les médecins font croire aux femmes qu’ils sont les seuls à détenir le savoir. La femme est alors infantilisée, on lui fait croire que, sans nous, elle n’y arrivera pas. On la dépossède de son accouchement, alors que la seule personne réellement compétente pour ce travail, c’est elle. En mettant au monde son enfant, elle prend conscience de cette force incroyable qui est en elle. Elle est capable de dépasser la douleur, la peur. La femme sait faire, c’est inscrit en elle depuis la nuit des temps, il faut juste lui redonner confiance en ses capacités. Elle saura d’autant mieux s’occuper de son tout-petit qu’on la laisse faire ce chemin vers la maternité, sans violence. >>
Avoir le choix
Maï Le Du, sage-femme, enseignante à l’école de Tours
<<J’ai eu le privilège, au cours de ma carrière, d’accompagner beaucoup de femmes vers la naissance de leur enfant. Des femmes d’origines et de cultures différentes qui n’avaient pas les mêmes représentations de la “bonne naissance”. Pour certaines, l’accomplissement de cet événement passait par le privilège de l’accès à une technicité qui leur était inaccessible dans leur pays d’origine. Pour d’autres, c’était au contraire la possibilité d’échapper au modèle dominant hyper-technique proposé chez nous qui était le gage de leur épanouissement maternel. À chacune sa norme, à chacune sa vérité, à chacune ses carcans culturels et sociaux. Ce qui à mon sens définit l’accouchement respecté – car il s’agit bien, si on parle des femmes, d’accouchement plutôt que de naissance – c’est le choix. À condition qu’il existe, bien entendu. Un vrai choix, éclairé, renseigné, et simplement possible, qui fait actuellement défaut dans bien des cas par manque de sages-femmes ressources et de lieux proposant une alternative à la doxa médicale institutionnelle dans notre pays. Le respect des femmes, de l’accouchement, de la naissance, j’essaie de l’enseigner aux futurs sages-femmes comme étant l’accompagnement des femmes dans la réalisation de leur désir à elles, tout en veillant à ce qu’elles et leur enfant restent en bonne santé. Ce qui est compliqué, c’est de leur faire comprendre que les moyens de préserver la sacro-sainte sécurité peuvent être déclinés différemment de ce qu’on leur inculque en CHU. Ce qu’ils apprennent en stage n’est pas transmis par esprit pervers, loin s’en faut, mais simplement par le fait de la peur ambiante et d’un biais de recrutement des femmes : dans la vraie vie, plus de 80 % des femmes accouchent très physiologiquement, la grande majorité des bébés vont parfaitement bien, et non l’inverse. Or ce n’est pas le modèle dominant auquel ils assistent. Nous travaillons activement, au sein de l’école, à réhabiliter la confiance dans le processus d’accouchement. Les lieux de stages nous manquent, vivement les maisons de naissance ! >>
S’adapter pour permettre l’adaptation
Jacqueline Lavillonnière, sage-femme, Association nationale des sages-femmes libérales
<<L’accouchement respecté est celui qui donnera à la mère le sentiment d’avoir été respectée, quel que soit son mode et son lieu. La grossesse et l’accouchement sont des grands moments d’adaptation. Pour la femme, elle devra, dès le début de sa grossesse, intégrer des modifications importantes qui concernent tous ses organes : cardiovasculaire, rénal, pulmonaire, digestif, système nerveux central et émotionnel. Au moment de l’accouchement, elle devra s’adapter à des sensations souvent surprenantes et par moments violentes et se préparer à vivre l’instant présent, sans chercher à maîtriser ! Une naissance, parce qu’elle concerne un enfant à chaque fois unique, invite la mère à une grande adaptabilité à ce que son corps lui impose. Pour qu’une naissance soit respectée dans son rythme singulier, il faudra que les accompagnants soient eux-mêmes adaptables et quittent la rigidité des protocoles. Le plus important sera donc de respecter le rythme de chacun : celui d’une femme qui accouche, celui de l’enfant qui se met au monde. Respecter les limites de chacun quel qu’ait pu être le projet initial. >>
Commun accord autour du meilleur choix
Dr Anne Théau, gynécologue-obstétricienne
<<Une “naissance respectée” pour moi, gynécologue-obstétricienne en maternité de niveau 3 (prise en charge de toutes les grossesses y compris pathologiques), c’est de choisir la conduite à tenir la plus adaptée à chaque naissance : pratiquer une césarienne à 7 mois de grossesse pour un fœtus trop petit avec des signes de faiblesse est la “meilleure naissance” pour lui dans la situation actuelle. De même, réaliser un forceps pour un bébé dont le cœur ralentit est justifié afin de le protéger de toute séquelle. Mais quand tout se déroule normalement, une “naissance respectée” est pour moi une naissance sans intervention médicale. Nous sommes juste là en garde-fou, aux côtés de la mère en travail, pour la soutenir et s’assurer que tout se passe bien. Après vient le choix de la femme enceinte à respecter : veut-elle une péridurale ou non ? Pour cette raison, j’ai créé au sein de la maternité de Port-Royal une salle nature afin de répondre à la demande des femmes qui souhaitent une naissance naturelle. Il y a juste à donner alors plus de confort : baignoire, grand lit d’accouchement, liane de suspension, musique… et surtout un accompagnement humain pour que la femme puisse traverser cette épreuve dont elle sortira grandie, fière de ce qu’elle a réalisé seule sans l’aide de la technique. Une “naissance respectée”, c’est de décider et de faire en commun accord avec le couple ce qu’il y a de mieux pour la future maman et l’enfant à venir. >>
Naissance respectée à l’hôpital, un oxymore ?
Dorothée M., sage-femme hospitalière
<<Selon moi, une naissance respectée est une naissance où l’on a su et pu laisser tout le temps nécessaire à la maman et au bébé pour naître et se rencontrer, où la maman et, plus globalement, le trio maman, papa et bébé ont pu bénéficier d’un véritable accompagnement, de tout le soutien nécessaire et où le couple a pu être véritablement entendu et respecté dans ce qu’il souhaite pour la naissance de son enfant et les premiers instants avec lui. J’entends très souvent dire que l’on peut tout à fait avoir une naissance respectueuse, naturelle à l’hôpital. Personnellement, je ne partage pas ce point de vue. Oui, en théorie, il est possible de vivre une belle naissance physiologique à l’hôpital et la plupart des établissements hospitaliers le présentent comme tel. Et c’est vrai qu’il y en a, mais malheureusement cela reste totalement aléatoire et dépendant de tellement de conditions. Quelle équipe prendra en charge la maman et quelle sera la charge de travail ce jour-là ? Comment se déroulera le travail ? Comment sera accueilli le projet de naissance du couple par les professionnels présents ? Tout peut basculer très vite. En effet, même avec la meilleure volonté du monde, si je dois m’occuper de quatre mamans en travail en même temps lors d’une garde, je ne pourrai pas accompagner comme il se doit ces mamans. Une bonne solution serait, pour moi, de permettre aux couples d’être accompagnés d’une doula, malheureusement la grande majorité des équipes hospitalières restent fermement opposées à cette idée. De plus, à l’hôpital, nous nous retrouvons très vite “bloqués” par les protocoles à respecter et le médico-légal. Il est très difficile d’agir librement, en fonction de la situation et des désirs d’un couple puisque l’on nous demande de respecter des procédures standardisées, allant bien souvent à l’encontre d’une naissance respectueuse. >>
Quand il y a conflit de respect
Dr Teddy Linet, gynécologue-obstétricien
<<Je suis gynécologue-obstétricien dans un hôpital à taille humaine. Les sages-femmes s’occupent des grossesses et des accouchements normaux. Ceci est très logique, elles sont naturellement plus compétentes qu’un spécialiste de la pathologie. Les patientes pour lesquelles j’interviens ont des histoires où le risque est présent et où la physiologie a disparu. Il est pourtant possible de respecter le choix d’un couple dans les situations où la science a des doutes. Par exemple, nous pouvons proposer un accouchement par les voies naturelles ou une césarienne dans des conditions comme la présentation du siège (le bébé a les fesses en bas) ou en cas d’antécédent de césarienne sur un accouchement précédent. Si le couple a bien compris que notre liberté est sous conditions de sécurité, alors nous pouvons créer un choix qui pourra ensuite être respecté. Parfois, il existe un conflit de respect. C’est le cas notamment lorsque l’on m’appelle sur un accouchement et que la patiente a fait un projet de naissance. Certaines demandes ne sont pas adaptées et ne respectent pas l’art du praticien qui est en face du couple. Il y a des moments où il est utile d’utiliser des forceps, de faire une épisiotomie, par exemple. Alors, il faut expliquer que nous allons tout faire pour respecter cette demande et que nous ne réaliserons ces gestes que si la situation le justifie vraiment. Certaines situations obstétricales nous laissent un peu de temps pour discuter comme lorsque la tête du bébé ne descend pas. Dans d’autres circonstances, le temps nous manque (le bébé donne des signes qui peuvent faire penser à une souffrance) et des gestes sont nécessaires rapidement. Dans ce cas, après une explication succincte, il faut prendre du temps après la naissance pour expliquer que nous avions bien compris les demandes, mais que cette situation particulière ne permettait pas de respecter ces choix tout en étant en sécurité. Le respect est pour moi une sorte de dialogue entre un couple venant pour une naissance et une équipe qui va tout faire pour que cela se passe pour le mieux. Expliquer pourquoi je fais les choses permet, généralement, de régler les conflits de respect. Lorsqu’elle est possible, la communication entre le couple et le praticien est la clé pour faire des choix qui respectent la mère, l’enfant, la famille et l’art du praticien. >>
Informer de manière complète et systématique
Carole Hervé, consultante en lactation IBCLC, animatrice La Leche League
<<Dans mon quotidien de consultante en lactation IBCLC, je m’efforce de rendre les mères actrices de leur projet individuel d’allaitement. En pleine reconnaissance de leurs besoins et de leurs envies, elles peuvent alors participer activement à chaque processus de décision. Pour moi, l’accouchement devrait être accompagné de la sorte. J’estime qu’une femme est en droit de recevoir une information complète et systématique sur l’accouchement. Dans l’idéal, les professionnels qui l’accompagnent s’efforceront de limiter les interventions pouvant être une source de complications parfois sérieuses en matière d’allaitement et pour la santé future de la maman et du bébé. Le recours à un certain nombre d’interventions protocolaires devrait, dans l’idéal, faire l’objet d’une discussion éclairée et en toute transparence. Favoriser un dialogue, une écoute améliorerait certainement, à mon sens, le vécu des mères, des bébés et sans doute aussi des soignants. >>
1 Septième valeur, relative à la naissance, de la philosophie de La Leche League (http://www.lllfrance.org/nous-connaitre/nos-valeurs).