Copyright Myriam Emond
Le concept de syndrome de déficit de nature (nature-deficit disorder) a été proposé en 2005 par Richard Louv, journaliste et auteur américain, dans son ouvrage Last Child in the Woods (traduit en français en 20201). Sur la base de nombreuses études, l’auteur émet l’hypothèse suivante : en passant de plus en plus de temps à l’intérieur, loin de la nature, l’humanité s’expose à de graves problèmes d’ordre physique ou psychologique.

C’est un sujet dont on parle encore peu, pourtant, une très large part de la population est concernée. J’ai réellement découvert l’ampleur du problème, il y a peu, en faisant des recherches pour un autre article, et il m’a semblé important de faire le point sur la situation.

Que ce soit aux États-Unis, au Canada, ou encore en Europe, toutes les études convergent : nombre de problèmes de santé observés, notamment chez les enfants et les adolescents, sont la conséquence, d’une part, d’un manque d’exercice physique, et d’autre part, d’une insuffisance de relation avec la nature2.

Relation insuffisante avec la nature

Tout au long du 20e siècle, le monde occidental s’est peu à peu coupé de la nature. L’expansion des zones urbaines (en France, en 2011, les villes occupaient 22 % du territoire et abritaient 47,9 millions d’habitants, soit 77,5 % de la population3). Même si on tente de conserver des espaces verts au cœur des villes, ceux-ci sont pauvres en éléments naturels avec lesquels les enfants pourraient jouer : disparition des bacs à sable (par souci d’hygiène4), taille des arbres avant la chute des feuilles afin d’en éviter le ramassage, pelouses interdites, aire de jeux avec revêtement synthétique… En ville ou à la campagne, le jeu libre dehors dans la nature ou tout simplement dans le proche environnement est devenu rare : les parents ont peur de laisser leur enfant seul dehors (peur d’un environnement naturel qui peut être dangereux, peur des autres…), alors, en voulant les surprotéger, ils les retiennent à la maison au lieu de leur permettre de jouer dehors. Dans son livre La Peur de la nature5, François Terrasson évoque largement cette phobie de la nature, qui conduit à prendre des décisions collectives et individuelles allant à l’encontre du bien-être physique et psychologique des individus.

En France, les classes découverte, ou classes nature, se font plus rares et durent moins longtemps. Les séjours d’immersion en pleine nature ou itinérants tendent à devenir un lointain souvenir : difficulté à mettre en place administrativement, frilosité des parents à laisser partir leurs enfants…

Ainsi confinés à l’intérieur, beaucoup d’enfants occupent leur temps libre en se tournant vers les écrans, qui, pour les plus jeunes, servent de « nounous ». Ainsi, en 2018, les enfants passaient en moyenne 4 h 11 par jour derrière un écran, les adultes n’étant pas en reste avec une moyenne journalière de 5 h 076.

Cette mise à l’écart, insidieuse et progressive, de la nature entraîne une méconnaissance profonde de l’environnement, pouvant conduire à une peur « irrationnelle » face à la nature et au monde extérieur « sauvage », à une sédentarisation de plus en plus importante, et, par la suite, au développement de pathologies plus ou moins graves ayant des répercussions à l’âge adulte.

Théorie de l’attachement appliquée à la nature

En poussant plus loin la réflexion, on peut également dire que la nature elle-même pâtit de ce syndrome de manque de nature. En effet, comme l’explique Richard Louv, « si les enfants ne s’attachent pas à la terre, ils ne récolteront pas les bénéfices psychologiques et spirituels que la nature peut leur procurer et ils ne développeront pas d’engagement en faveur de l’environnement sur le long terme »7.

Il apparaît donc qu’avant de parler d’éducation au développement durable, de protection de la nature, il est indispensable que les enfants connaissent intimement et apprennent à aimer cet environnement proche qui est le leur. Comment protéger et prendre soin de quelque chose qui vous est étranger, voire qui vous fait peur ?

Et pour les adultes, qu’en est-il ?

La situation est identique : la plupart des adultes des pays occidentaux souffrent d’un manque de nature. En effet, de plus en plus de gens vivent en milieu urbain où la nature est peu présente, sans parler d’espace « sauvage », et le mode de vie de nos sociétés conduit à une sédentarité grandissante. Les pathologies observées sont les mêmes que pour les enfants : surpoids, déficit de concentration et d’attention, attitude passive face au monde, manque de sommeil, anxiété…

Passer du temps dehors, au milieu d’espaces naturels, dans des parcs, en ville ou dans la forêt, apporte calme et apaisement. De plus, cela permet de mettre le corps en mouvement et d’activer les différents métabolismes indispensables à la santé physique et psychique des individus.

Quelques pistes pour renouer avec la nature

Dès le plus jeune âge, quelle que soit la saison et la météo, les enfants peuvent et doivent aller dehors. On peut par exemple inscrire son enfant dans une crèche en plein air, ou dans une école en forêt8. On leur permettra ainsi de renforcer leur système immunitaire, de développer leur curiosité et leur imaginaire, et l’effet apaisant de la vie en extérieur entraîne une meilleure concentration lors des apprentissages.

Pour les plus grands, les mouvements scouts permettent de renouer avec la nature et la vie en plein air. De plus, les enfants sont rapidement mis en situation d’autonomie, doivent faire preuve de coopération et exercent leur habilité manuelle.

Au sein de la famille, on peut organiser des sorties où petits et grands profiteront des bienfaits de la nature : balade, pique-nique, sortie au parc, jardinage…

On peut aussi profiter des vacances pour découvrir de nouveaux paysages avec leur faune et leur flore spécifiques, et ainsi en apprendre un peu plus sur la variété du monde qui nous entoure. Plus on connaît quelque chose, plus on l’apprécie et plus on souhaite en prendre soin : voilà de quoi développer la sensibilité de chacun envers son environnement.

Et pour les plus enthousiastes, je vous propose de réaliser le défi des 30 jours, seul, en famille ou entre amis. En 2012, la fondation David Suzuki9 a lancé le premier défi Nature 30×30 : passer 30 minutes dehors pendant 30 jours durant le mois de mai. Bien entendu, nul besoin d’attendre le mois de mai pour réaliser ce défi !

Symptôme observé

Cause en lien avec le manque de nature

Obésité et diabète

Manque d’exercice physique, vie trop sédentaire qui incite au grignotage

Maladie cardiovasculaire, asthme

Manque d’activité physique en plein air

Trouble de l’attention, concentration

Excès de temps d’écran

Troubles du comportement, hyperactivité, agressivité

Excès de temps d’écran, manque de jeux libres et d’activité physique

Repli sur soi, tendance à l’isolement

Sédentarité, absence d’occasion de jouer librement avec d’autres enfants dans des lieux de nature riches et stimulants

Altération des perceptions de la réalité, difficulté à percevoir les dangers, mauvaise connaissance de ses capacités physiques réelles

Manque de jeux libres en extérieur

Myopie

Manque de vision de loin et de lumière naturelle

Carence en vitamine D

Manque d’exposition à la lumière naturelle


1 Une enfance en liberté, Protégeons nos enfants du syndrome de manque de nature, Richard Louv, Éditions Leduc (2020). / 2 Rapport réalisé par le Réseau école et nature, Syndrome de manque de nature, du besoin vital de nature à la prescription de sorties, juin 2013. / 3 https://www.insee.fr/fr/statistiques/1280970 / 4 Voir l’article de Claude Didierjean-Jouveau, « La gadoue », Grandir Autrement n° 87. / 5 La Peur de la nature, François Terrasson, Éditions Sang de Terre (2007). / 6 https://www.francetvinfo.fr/internet/objets-connectes/sante-nous-passons-deux-heures-de-plus-devant-nos-ecrans-qu-il-y-a-dix-ans_2592848.html / 7 https://maison-biologique.fr/guerir-du-manque-de-nature / 8 Voir l’article « Des pédagogies inspirées par le cycle des saisons », Grandir Autrement n° 90. / 9 https://fr.davidsuzuki.org/

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