- Article issu du numéro 91 – Être parents dans la tourmente
La situation actuelle a bouleversé nos fondations, un peu à l’image d’un tremblement de terre. Soudain, nous sommes entrés dans un monde où tout est incertain, différent, où l’impossible semble se manifester. Nous sommes tous mis face au défi de plonger dans l’inconnu. La prochaine page du livre que nous devons écrire est blanche. Comment pouvons-nous apprivoiser nos peurs ? Comment apaiser notre esprit face à ce futur incertain ?
Je suis nomade à vélo et en famille sur les routes du monde depuis plus de onze ans. Chaque nuit, je dors sous tente avec mon conjoint et mes deux filles. Nous nous levons le matin avec les premières lueurs du jour et nous ne savons jamais où nous serons le soir même. S’il y a bien quelque chose que j’ai appris durant ces années de nomadisme, c’est à plonger chaque seconde dans l’inconnu. J’ai appris à avoir un gigantesque néant face à moi. Je suis immergée dans des environnements différents, des cultures diverses et variées et j’écris les lignes de ma journée à chaque coup de pédale. Je ne sais jamais ce qu’il y a derrière le virage à venir. Je ne peux pas me projeter plus loin que les dix prochaines minutes.
Les attentes façonnent notre réalité
Nous construisons notre monde sur nos attentes. Conscientes ou inconscientes, elles façonnent notre réalité. Elles proviennent des normes culturelles, de notre routine, de nos planifications, de nos projections, parfois de nos désirs. Imaginez-vous par exemple prendre une douche, vous pensez certainement à l’eau chaude qui va couler sur votre peau. Et pourtant, je peux vous assurer que mes attentes ont été anéanties dans ce domaine. Nos douches sont rarement idéales. Le problème en soi n’est pas l’eau froide, le jet d’eau qui coule goutte à goutte ou l’insalubrité du lieu. Le hic, c’est lorsque au fond de moi j’avais projeté de savourer ce moment de détente, lorsque je l’avais désiré passionnément. Alors la frustration devient intense, je suis en colère, déçue, en sanglots ou parfois découragée. Ce mélange d’émotions inconfortables ne provient pas de la situation réelle, mais véritablement de mes attentes et surtout du besoin qui se cache derrière. Cette douche devait peut-être assouvir mon besoin de douceur et de relaxation. Mais souvent, les frustrations sont telles que je suis aveugle à ce qui m’habite réellement, je perçois uniquement mon attente inassouvie.
Nos attentes sont aussi inconscientes. Venant de la Suisse, lorsqu’une rivière est dessinée sur une carte, il y a nécessairement de l’eau à cet endroit. Ce n’est qu’au Tadjikistan à plus de 4 000 mètres d’altitude dans un monde de roche et de poussière que nous avons pris conscience de cette croyance. Dépités, nous sommes alors avec mon partenaire face à un lit asséché, sans eau à l’horizon. Nous venions de dévoiler une attente de plus.
Nous pouvons transformer notre regard
Nos attentes sont donc toutes ces projections que nous faisons dans le futur et qui nous empêchent de vivre le moment présent. Parce que finalement, ce n’est pas ce qui nous arrive, mais le fait que cela ne correspond pas à ce que nous avions imaginé qui crée tant de résistance. J’ai appris à faire avec ce qui est, parce que toutes mes attentes, mêmes les plus infimes, ont été déçues. Et surtout, j’ai compris que la seule chose que je peux transformer, c’est mon regard sur les événements qui m’arrivent. Et de ce regard, tout peut être naissance.

Plonger dans l’inconnu
Accepter de plonger dans l’inconnu, c’est arrêter de vivre sur les attentes que nous créons pour se centrer sur ce qui se passe dans le moment présent. C’est accepter de ne pas contrôler ce qui se présente, mais d’être ouvert à ce qui est. Nomades, nous avons appris à avoir un gigantesque vide face à nous, que nous ne pouvons pas remplir d’attentes et de certitudes. Nous avons peut-être appris à apprivoiser l’inconnu ? Pourtant, l’apprivoiser ce n’est pas le soumettre. Au contraire, c’est s’ouvrir au présent pour laisser la vie nous guider. Car lorsque notre futur est libéré de nos attentes, tout est possible. Lorsque rien n’est figé dans le moule de ce qui doit être, l’inattendu peut finalement surgir. En laissant du vide, nous autorisons des nouveautés à entrer dans nos vies.
Laisser la Vie nous parler
Personne ne connaît le déroulement du futur, ainsi chaque matin, nous sommes libres d’écrire la nouvelle page de notre vie. Nous pouvons choisir à chaque instant comment nous allons vivre ce qui se présente durant notre journée. Nous pouvons prendre conscience de tous les choix qui nous animent. Nous pouvons nous offrir le droit de nous réinventer quotidiennement. Nous avons l’opportunité de nous ouvrir à la spontanéité, d’être à l’écoute de nos folies intérieures, de nos rêves les plus grands, finalement d’être ce qui vibre au plus profond de nous à chaque instant.
Pour moi, cet état d’être m’offre une merveilleuse sensation de sécurité, parce que, quoi qu’il arrive, rien n’est figé et tout est possible. Ainsi, je peux laisser la Vie me parler et les synchronicités me guider. Toutes ces nuits passées sous tente ont été tant d’initiations pour apprendre à faire confiance à la vie.
Quelles peurs ?
S’ouvrir à cet inconnu fait cependant naître des peurs en nous. Nous en avons tous. Les peurs sont tous ces poids que nous portons et que parfois nous nourrissons. Dans le monde, il n’existe que deux énergies, l’une est l’amour, l’autre est la peur. Elles ne peuvent apparaître simultanément. Chacune de nos pensées, chaque acte, chaque émotion prennent naissance dans l’une ou l’autre. Ce que nous avons oublié, c’est qu’il s’agit d’un choix, qu’il soit conscient ou inconscient. Nous pouvons renier nos peurs, les oublier, ou les laisser nous dominer. Pourtant, elles ne seront alors que plus présentes. Nous pouvons aussi choisir de marcher main dans la main avec elles.
Les peurs sont nos amies. Elles nous informent d’un potentiel danger dans le moment présent. C’est notre instinct de survie qui nous permet de fuir, nous défendre ou au contraire de rester immobile. Pourtant, nos plus grandes peurs ne naissent pas dans le présent. Elles ne sont pas une réaction physiologique à un événement qui se passe ici et maintenant, mais au contraire nos plus grandes peurs sont souvent intérieures.
D’ailleurs, les moments les plus durs de ce long périple sur les routes du monde n’ont pas été les expériences chocs que nous avons pu vivre. Là, nous n’avons souvent pas le luxe d’avoir peur, nous agissons et tentons au maximum de garder notre lucidité pour être à l’écoute de nos intuitions. Ce sont bien nos peurs intérieures qui sont les plus éprouvantes. Ce sont tous les mauvais scénarios que notre esprit peut nous conter en boucle. Ce sont toutes ces peurs viscérales qui proviennent des blessures intérieures.
Ces peurs intérieures peuvent apparaître comme de véritables dragons, de gigantesques monstres insurmontables, indomptables et effrayants. Tétanisés, nous sommes alors incapables de faire le premier pas vers la réalisation de nos projets de cœur. Nous pouvons aussi tenter de les nier, de ne pas les prendre en considération, comme de petits insectes qu’il serait facile d’écraser. Pourtant, à ce jeu, elles prennent encore plus de pouvoir et lentement des dimensions inimaginables.
Ces peurs sont bien présentes. Nous ne pouvons ni les repousser, ni les ignorer. Pourtant, nous pouvons choisir de les entendre, de les prendre en considération, de les choyer. Lorsque nous accueillons ces peurs, nous les rendons humaines, à notre taille. Nous pouvons ainsi les prendre par la main et apprendre à marcher avec elles.
Accueillir ses peurs
Lorsque nous agissons et réagissons avec l’énergie de la peur, nous manifestons avec plus d’intensité ces peurs dans notre vie. Nous les attirons avec plus de force sur notre chemin. Les peurs nous privent ainsi de notre responsabilité et de notre pouvoir. Accueillir ses peurs, c’est oser les regarder en face, les identifier, les nommer, parfois les communiquer. C’est surtout chercher en nous ce qui entre en résonance afin de mettre en lumière nos besoins, nos blessures. En acceptant leur présence, nous accueillons notre part d’ombre, nous nous autorisons à vivre pleinement chacune des facettes de notre être. Ainsi, nous les reconnaissons et nous avançons avec elles sur notre chemin de vie. Lorsque nous prenons nos peurs par la main, nous choisissons de nourrir l’amour.
La seule voie est en nous
Pour moi, cette vie de nomade a toujours vibré dans l’intensité, parce que les rencontres sont puissantes, parce que la confiance en la vie ne peut pas attendre lorsque nous sommes seuls dans les vastes espaces sauvages, parce que notre équilibre est si important lorsque l’on n’a pas de maison pour se réfugier. Tout doit venir de l’intérieur, notre paix, notre sentiment de protection, notre confiance en l’autre et en la vie.
La seule voie est en chacun de nous. Nous créons tous nos vies autant que nous attirons nos peurs. Ainsi, nous pouvons devenir encore plus conscients de notre équilibre autant que célébrer notre pouvoir de création.
Dans notre relation avec nos enfants
Les enfants dès le plus jeune âge sont aussi réceptifs à nos peurs, celles que nous exprimons et celles que nous vivons intérieurement. Ils les ressentent avec encore plus de lucidité que nous-mêmes. Et leurs attitudes deviennent des miroirs de ce que nous portons intérieurement en tant que parents. Ainsi, il est parfois utile de questionner notre propre équilibre lorsque l’on perçoit un changement de comportement chez son enfant. Les attentes que nous posons sur nos enfants modifient aussi notre relation avec eux. En créant des attentes ou en faisant peser nos peurs sur leurs épaules, nous enfermons nos enfants dans des moules. Nous les soumettons à nos limitations, à nos croyances et à nos blessures enfouies. Nous en avons tous, pourtant nous pouvons faire le choix conscient de réinventer chaque jour notre relation à notre enfant, à l’écoute de ses besoins et plus encore de le guider en lui faisant don de notre confiance.
Dans la situation mondiale actuelle, les peurs sont exacerbées par chaque pensée qui nourrit cette énergie. Pourtant, nous avons une fois encore le choix. Celui de vivre le moment présent pour pouvoir écrire cette nouvelle page blanche selon ce qui vibre en nous. Je parle de cette petite voix intérieure qui nous guide vers toujours plus de spontanéité, de légèreté, de joie et de gratitude. Prenez vos peurs par la main et ne pensez pas au futur pour vous réinventer selon vos en-vies.
Bonjour Céline,
Votre texte résonne si fort avec ce que je vis actuellement. Notre enfant a deux ans et il semble que, depuis la naissance en particulier, mes peurs (mon stress, mes angoisses) soient ce dont je souffre le plus en ce moment, et sont ce que me reproche le plus mon mari, qui rejette furieusement cet aspect de mon psychisme (d’où d’ailleurs encore plus d’angoisse pour moi: devant lui je n’ai pas le droit d’avoir peur, bonjour le cercle vicieux…bref)…Mes peurs elles me viennent bien sûr quand je suis fatiguée et que je ne me sens pas la force d’assumer…c’est à dire souvent, de manière plus ou moins aiguë…J’admire tant votre force, un texte à méditer encore et encore. Je dois dire que ce qui reste le plus mystérieux pour moi en vous lisant c’est comment on fait face à la déception quand l’attente était un véritable besoin…? quand j’ai un besoin si criant de repos, que je ne souhaite plus que cela, que j’ai tout donné pour l’endormir, que j’ai cru que c’était bon et que j’échoue (ah un bruit, quelque chose le gratte et c’est reparti pour au moins 1h30), parfois la déception est si forte, je m’effondre en crise de pleur et de rage, j’attire l’incompréhension de mon enfant et de mon mari, tout s’effondre…certes ce sont nos attentes qui créent la déception, et on peut méditer cela…mais comment faire quand on crève de soif et que la rivière indiquée sur la carte est à sec ?
(vous vivez des choses si éprouvantes, l’exemple que je donne doit sembler si ridicule, mais je vous assure que souvent je suis tellement épuisée que son sommeil m’apparaît comme la condition sine qua non de ma survie mentale dans l’heure qui suit)
Bonjour,
J’entends votre fatigue intense, et c’est vraiment important de pouvoir l’exprimer. Je invite à demander de l’aide, pour pouvoir vous reposer un peu, peut-être une amie, de la famille qui serait d’accord de s’occuper de votre enfant pour quelques heures. Le sommeil est un besoin vital de base, et avec une fatigue intense, c’est très difficile de pouvoir être alignée. Je vous invite aussi à prendre soin de vous, de vous offrir de la douceur.
Nos enfants sont souvent nos miroirs, ainsi lorsque nous vibrons la peur, ils le ressentent. Leur comportement peut aussi être un reflet de cette peur, ou d’une volonté de nous venir en aide en refusant la séparation par exemple. Il y a dans ce sens des thérapeutes qui peuvent vous venir en aide.
Accueillez vous inconditionnellement avec vos peurs, et votre manque de sommeil. Cela aidera aussi votre mari à vous accueillir.
Tendrement
Céline Pasche