
- Article issu du numéro 89 – Vous avez dit neuroatypique ?
Neuroatypie, neurotypicité, neurodiversité, autant de termes qui fleurissent aujourd’hui et dont il n’est pas toujours évident de savoir ce qu’ils recouvrent. Avant d’approfondir davantage le sujet sous ses différents aspects, il apparaît donc primordial de savoir de quoi l’on parle quand on évoque la notion de neuroatypie.
Ce terme définit un fonctionnement cognitif qui diffère de la norme et englobe plusieurs sortes de particularités neurologiques, psychologiques et comportementales. Comment est née cette notion ? Qui sont les neuroatypiques ? Être hors norme signifie-t-il pour autant souffrir d’une pathologie ?
La genèse de la notion de neuroatypie
C’est à partir des années 1990 qu’est né le concept de neuroatypie, créé par opposition au terme de neurotypie que la communauté autistique utilisait alors pour désigner les individus ne présentant pas de caractéristiques autistiques.
Ce mot fait écho au développement des neurosciences et notamment à la manière de désigner, dans ce domaine, un « système nerveux atypique » lorsqu’il diffère de la norme dominante de fonctionnement.
En 2011, un sommet tenu à l’université de Syracuse a donné à la neuroatypie la place d’un « concept où les différences neurologiques doivent être reconnues et respectées au même titre que n’importe quelle autre variation de l’humain »1.
Cette notion a pour avantage de permettre de nommer ensemble un certain nombre de fonctionnements cognitifs divergeant de la norme majoritairement admise en l’état actuel de notre société afin de leur donner plus de poids dans les réflexions sociologiques que s’ils étaient tous pris en considération séparément.
Chaque chose qu’on nomme peut faire l’objet d’un sujet de réflexion et est plus aisée à concevoir. Faire une place à la neuroatypie en tant que concept, c’est permettre à tou(te)s celles et ceux qui ne sont pas neurotypiques – et ils sont nombreux – d’être reconnu(e)s dans leur différence et considéré(e)s.
Les mots ont donc leur importance notamment pour percevoir la réalité, la diversité et la richesse de ce que nous propose de conscientiser la neuroatypie, terme à la fois porteur de la norme sociale attendue, mais aussi de l’infinie richesse de ce qui, en l’être humain, ne se limite heureusement pas à ce cadre-là.
La médiatisation de neuroatypiques a joué un rôle probablement important dans cette avancée lexicale, notamment par les ouvrages de Daniel Tammet ou Josef Schovanec, autistes Asperger devenus célèbres, qui ont su mettre en mots leur vision de notre norme et montrer sous un jour nouveau la manière dont on pouvait en être différent.
Qui sont les neuroatypiques ?
La neuroatypie rassemble une pluralité de modes divergents de fonctionnements cognitifs.
Ces derniers correspondent aux capacités de notre cerveau à nous permettre d’être en interaction avec notre environnement.
Ces particularités hors norme impactent la capacité de percevoir, de se concentrer, d’acquérir des connaissances, de raisonner, de s’adapter et d’interagir avec les autres.
La neuroatypie regroupe dans une même approche :
- les troubles du spectre de l’autisme ;
- les « dys » (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, dysorthographie, etc.) ;
- les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) ;
- les personnes précoces intellectuellement (aussi dits haut potentiel, haut potentiel intellectuel ou surdoués – HP ou HPI) ;
- les hypersensibles.
Dans les chiffres, c’est en définitive près d’une personne sur cinq qui entrerait dans ce champ et fonctionnerait donc différemment de la norme dans le traitement des informations et stimuli qui lui parviennent.
Les personnes concernées directement ou via leur entourage par la neuroatypie sont donc particulièrement nombreuses. Cela est d’autant plus surprenant à savoir que souvent, elles se sentent extrêmement seules dans le vécu de leurs difficultés d’adaptation sociale.

Être neuroatypique, une pathologie ?
Si les neuroatypiques ont tous un fonctionnement neurologique ou psychologique qui s’écarte de la norme, rien ne permet pour autant d’affirmer que tout fonctionnement hors norme est en soi pathologique (bien au contraire peut-être dans un monde qui va mal !).
On peut parler en revanche à juste titre de handicap. Dans sa dimension sociale, la personne handicapée est celle qui connaît une restriction de vie dans la société en raison d’une différence à la norme et d’une absence d’adaptation de la société à cette différence. Or à l’heure actuelle, la façon de fonctionner de notre société, en décalage profond avec les ressentis et les façons d’appréhender le monde de la plupart des neuroatypiques, font de ces spécificités d’être un handicap. Les limites de l’assimilation de la neuroatypie à un handicap est de parvenir à un rapport asymétrique entre « personnes valides » et « personnes handicapées », et de valider implicitement une inadaptation sociale. Mais ne serait-ce pas à la société de se réinventer pour tenir compte de cette réalité d’une large place de la neuroatypie parmi les êtres qui la composent pour dépasser cette notion de handicap ?
La plupart des neuroatypiques font face à un moment donné ou à un autre de leur vie à des réactions d’exclusion ou à des moqueries car leur manière d’être ou leurs réactions sortent du cadre conventionnel et donc dérangent.
Certains tentent de mettre en place des stratégies pour masquer leurs différences mais c’est souvent au prix d’efforts conséquents et difficiles à équilibrer en eux, avec des risques sérieux de décompensation par des dépressions ou des crises lorsqu’ils lâchent le masque feint de la normalité qui cause en leur for intérieur de l’incompréhension et de la souffrance.
Cependant, si avant les années 1990, les spécificités entrant dans le champ de la neuroatypie étaient décrites comme un problème voire une maladie, plus les années passent et plus les particularités développementales et comportementales des neuroatypiques tendent progressivement à être perçues non comme anormales, mais simplement comme différentes. Comme « atypiques ».
Certains déplorent même une tendance actuelle inverse où l’atypicité cognitive peut être survalorisée, voire recherchée dans certaines familles, comme une explication qui se veut rassurante face à des difficultés rencontrées avec leurs enfants.
En cela, il convient de souligner l’importance d’un diagnostic réalisé par des professionnels et de propositions de solutions adaptées à chacun(e), au-delà de toute étiquette.
Juliette Speranza, autrice de L’Échec scolaire n’existe pas2 et co-fondatrice de l’association Neurodiversité France, soutient avant tout une éducation à la neurodiversité qu’elle décrit comme nécessaire pour permettre à la société de lire les comportements de celles et ceux qui ont le plus grand mal à intégrer les codes sociaux actuels afin de mieux les comprendre et de cesser de leur donner un sens qu’ils n’ont pas, afin de pouvoir aussi y répondre de manière adaptée et non culpabilisante ou insécurisante pour celui ou celle dont le fonctionnement diffère de la norme que l’on nous a inculquée. À titre d’exemple, une personne qui ne nous regarde pas dans les yeux ne nous ignore pas forcément, ou un enfant remuant en classe ne l’est pas nécessairement pour être provocateur.
Dans son ouvrage Les Enfants hypersensibles3, Emmanuelle Rigon écrit très justement « L’hypersensibilité a de multiples facettes. Elle ne se manifeste pas d’une seule manière, et on observe le plus souvent des dominantes chez tel ou tel enfant. […] Mais dans tous les cas, l’hypersensibilité témoigne d’une fragilité, d’une vulnérabilité qu’il faut absolument reconnaître et prendre en compte pour accompagner l’enfant au mieux. D’autant qu’une hypersensibilité apprivoisée peut devenir un précieux atout pour l’existence. »
La notion de neuroatypie ouvre donc une véritable réflexion philosophique d’une éthique du vivre ensemble avec les particularités de chacun(e).
Ouvrir son champ des possibles à la neurodiversité, c’est repenser en profondeur nos liens, nos identités, nos unicités, nos préconçus, notre éducation et notre humanité.
Car si de nos jours encore les personnes dont le fonctionnement s’éloigne de la norme ont tendance à être a minima stigmatisées, la diversité de l’être humain dans tous ses modes d’être est une richesse extraordinaire qui doit pouvoir s’exprimer et être accueillie aussi librement et ouvertement que possible.
Les refuges créatifs, le mode de pensée ou les intérêts spécifiques de certaines personnes neuroatypiques sont des cadeaux pour le monde et ils ont été à l’origine de découvertes, d’avancées et de créations fabuleuses pour tou(te)s. Ainsi, Einstein, Andy Warhol ou Vincent Van Gogh, pour ne citer qu’eux, rentreraient aujourd’hui dans cette catégorie des neuroatypiques.
Faire une place pleine et entière à la neuroatypie, dans toute sa pluralité et son unicité, c’est honorer la neurodiversité et dépasser ainsi une norme enfermante pour tou(te)s pour reconnaître chacun(e) comme riche de toutes ses particularités qui sont autant d’atouts variés pour notre humanité.
Lexique de la neuroatypie* Neuroatypie : fonctionnement cognitif qui diffère de la norme. |
1 https://neurodiversitysymposium.wordpress.com/what-is-neurodiversity
2 L’Échec scolaire n’existe pas, Juliette Speranza, Éditions Albin Michel (2020).
3 Les Enfants hypersensibles : Ultra-émotifs, hyper-susceptibles, toujours à fleur de peau, Emmanuelle Rigon, Éditions Albin Michel (2015).