© Céline Pasche

De plus en plus de personnes se questionnent sur notre société de consommation. Notre planète aux ressources limitées est censée nourrir les rouages d’un système basé sur une croissance infinie. Dans tous les milieux, certains tirent la sonnette d’alarme, alors que la Terre elle-même semble nous faire parvenir ses messages. Et pourtant, de plus en plus de systèmes alternatifs se mettent en place dans tous les domaines. Qu’en est-il de celui de l’économie ?

Notre économie est liée à un besoin effréné de produire et de consommer dans une matérialité à outrance. Les nouveautés se transforment en nécessité qui doivent conduire au bonheur tout autant que définir l’image que l’on donne de soi ou la construction de son identité. Cette réalisation de soi par le matériel se dissout pourtant derrière le voile sous lequel nous nous sommes cachés. Cette nécessité de consommer des biens éphémères surpasse toute forme de relation sociale. Pourtant, ce n’est pas l’unique modèle économique. De nombreuses associations ont créé des alternatives. Il y a par exemple les SEL, les Systèmes d’Échange Local, qui ont pour but un échange de services, de compétences et de biens dans un réseau par le système d’une monnaie locale ou de temps offert. L’idée est d’abord de réfléchir à notre manière de consommer pour retrouver dans l’échange une manière de vivre, de faire et d’inter- agir autrement. Donc en fonction des motivations de chacun, on peut explorer les possibilités pour se procurer un bien ou bénéficier d’un service. On pourra alors l’échanger contre un autre bien ou un service dans la même unité d’échange locale. Dans certains réseaux, elles portent des noms poétiques comme des blés, des grains de sel, des flocons, des bon’heures, des sourires…

Dans les services qui peuvent être rendus, nous pouvons imaginer réaliser des travaux pour quelqu’un, par exemple tondre la pelouse, déboucher une conduite, réparer un vélo, rédiger un texte, fabriquer des bougies. Il y a aussi la possibilité d’aider une personne, que ce soit l’accompagner à un rendez-vous, apporter son aide à un déménagement, la guider pour remplir des documents officiels ou, par exemple, faire une heure de ménage pour une jeune maman. Il y a aussi la possibilité de partager des connaissances, comme du crochet, des cours de saxophone, des cours de cuisine.
Ce sont des alternatives dans une citoyenneté dynamique qui cherche des solutions. Ces échanges sortent du système économique global et permettent à chacun de pouvoir partager son temps, ses compétences, ses passions ainsi que ses biens. Toujours est-il que les systèmes de troc ou d’économie locale se basent sur l’idée que tout service a une valeur et qu’il faudra donner un service en équivalence avec cette même valeur. Il reste donc dans une logique d’échange qui doit conserver une forme d’équivalence.

Le potlatch, une autre manière de concevoir l’échange

Il existe pourtant une économie qui sort de cette logique, l’économie du don. Celle-ci est loin d’être une révolution puisqu’elle a été la base du système d’échange dans de nombreuses sociétés, notamment chez les peuples autochtones du nord de l’Amérique et dans les îles du Pacifique. Marcel Mauss et Bronislaw Malinowski sont deux anthropologues qui ont illustré par leurs recherches cette économie. Marcel Mauss a étudié les potlatchs des peuples autochtones du Canada. Ce sont des cérémonies durant lesquelles les chefs rivalisent pour le prestige en donnant des biens dans un échange réciproque. Ces réunions participaient à tisser les liens sociaux, à célébrer la culture et à échanger. Elles étaient souvent spectaculaires par l’ampleur des richesses qui étaient données. Ici, le don repose alors sur la triple nécessité de donner, de recevoir et de rendre. Dans ces sociétés à petite échelle en dehors du monde industriel, chaque étape participe à une forme d’obligations dans le lien et la reconnaissance sociale.

L’économie du don chez nous

Aujourd’hui, dans notre société actuelle, cette forme d’économie existe aussi en marge de la société de consommation. Ce sont par exemple certains systèmes d’échange de savoirs. Chacun peut alors prendre part au réseau et échanger ses savoirs. Chacun est tantôt offreur, puis demandeur de savoir. Et c’est uniquement la réciprocité qui crée une égalité dans l’échange, sans comparaison de temps, de niveau de connaissance, ou de domaine. Le réseau devient alors une source d’enrichissement et de rencontres. Il renforce ainsi les liens sociaux. Chacun peut alors partager son savoir et devenir aussi professeur. Ainsi, il renforce l’estime de soi et la confiance, tout autant qu’il crée du lien avec d’autres individus. Les cours offerts sont sans limites de créativité pour les participants, que ce soit une passion, un domaine de prédilection, un talent, une expertise, le partage de sa culture…

Il y a aussi des systèmes comme CouchSurfing ou Warm Showers. Ce sont des organisations dans lesquelles les membres offrent une nuit sur un canapé, un lit, une douche chaude à des personnes en déplacement. Héberger des voyageurs pour le plaisir de recevoir, de partager un repas ou la convivialité et avoir l’opportunité d’être accueillis chez un hôte de l’autre côté de la planète avec les conseils d’une personne locale.

Un don inconditionnel

Alors comment fonctionne l’économie du don ? Elle sort complètement du système de marché pour se réintégrer à la communauté. Ce n’est plus non plus une obligation sociale, mais une réciprocité au fil du temps au sein d’une ou plusieurs communautés. L’important est de maintenir le cycle des dons. La liberté et la non-garantie de retour sont précisément ce qui permet de caractériser cette forme d’échange. L’exemple de la période de Noël sort même de cette idée de don, dans le sens où les échanges prennent la forme d’une obligation sociale, sans pour autant être exprimée, une obligation de donner, mais aussi de recevoir. Dans notre société, sommes-nous capables de refuser un cadeau ?

Si un don est obligatoire ou s’il implique un paiement social, nous passons à côté de l’essentiel. Si un don permet d’augmenter son statut social ou de nous libérer d’une forme de culpabilité, nous passons à nouveau à côté de l’essentiel. Finalement, le don fait toujours partie de la séquence donner-recevoir-rendre, sauf qu’il ne peut y avoir aucune assurance ni sur le fait de recevoir, ni sur celui de rendre. C’est à la fois un mélange de liberté et de conscience. Dans ce sens, renforcer les liens par le don est un cercle vertueux. C’est la sensation de faire partie d’un tout, ou d’une communauté élargie dans laquelle nous donnons sans attente. Nous recevons avec joie parce que ce don porte une valeur à nos yeux et à nos cœurs, et finalement, nous rendrons dans une volonté de partager ce qui nous a été transmis, offert, donné. Il n’y a plus de limite de temps ou d’appartenance. Dans cette économie du don, nous sortons aussi de la notion du manque pour entrer dans un monde d’abondance des ressources immatérielles qui peuvent être partagées.

Nos filles sont nées en Malaisie. Là-bas, dans la langue bahasa, « merci » se prononce « Terima- Kasih », ce qui signifie « recevoir-donner », et on répond toujours par « Sama-Sama », qui signifie « avec-avec » ou « ensemble ». Dans l’économie du don, on peut choisir d’entrer dans l’inconditionnel. C’est un lien de confiance qui va au-delà de ses pairs, c’est la confiance en l’Humain et en la vie. Lorsque l’on reçoit un don inconditionnel, une puissante sensation de gratitude naît en nous. Cette gratitude sera l’impulsion qui, à un moment donné, va cultiver le désir de donner à son tour de manière inconditionnelle.

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