© Nathalie Ruffin

Lorsque l’on devient parent, on a parfois la possibilité de choisir de consacrer un temps plein à l’éducation de ses enfants. Ce choix implique par contre que le parent qui reste, souvent la mère, se voit considéré comme exclu du monde du travail, « inactif », au sens du Bureau International du Travail. Pourtant, celles et ceux qui s’occupent au quotidien de leurs enfants savent mieux que quiconque la charge de travail qui leur incombe.

Pourquoi certains parents font-ils ce choix de cesser leur travail rémunéré pour éduquer leurs enfants ? Peut-être pour favoriser ce lien d’amour indispensable à la confiance de l’enfant, les aider à construire des bases solides pour leur avenir, leur transmettre leurs propres valeurs, apprendre à bien les connaître en les observant au jour le jour et tout simplement pouvoir les voir grandir (et grandir avec eux !).

Un choix engagé

Dans son livre Transmettre l’Amour1, le pédiatre et père de famille Paul Lemoine écrivait à propos des éducateurs : « Quel métier plus passionnant peut-on concevoir que d’amener cet enfant, qu’on a mis au monde par amour, à devenir un homme ou une femme valable, capable d’aimer, c’est-à-dire de se donner un jour aux autres, à de grandes causes, quel que soit son avenir. C’est bien là le ‘‘grand métier’’, le plus important, celui dont dépend l’avenir de l’humanité. »
Les premières années de vie d’un être humain, c’est une épopée considérable, pour l’enfant comme pour ses parents ! Et le parent qui accompagne son enfant dans cette période si précieuse peut s’attendre à devoir gérer un maximum de choses.

Être parent à temps complet

Au quotidien, un parent doit donc accompagner son enfant dans toutes les étapes de son développement, en lui proposant des activités, du sport, des loisirs, de la musique, des centres d’intérêt riches et variés, prendre soin de lui, à travers la toilette, la gestion du linge, des couches lavables quand elles sont choisies, mais aussi bien sûr à travers l’alimentation, l’allaitement peut-être, les purées et compotes bio cuisinées maison, etc.
On peut aussi choisir d’apprendre la langue des signes pour communiquer avec son enfant très tôt, s’intéresser à une pédagogie particulière comme celle de Montessori, et plus tard pratiquer l’instruction en famille, etc. Dans tous les cas, cela nécessite de se former, même en autodidacte, et demande toujours de trouver du temps et un engagement constant. Car à côté des soins dédiés à l’enfant, n’oublions pas qu’ il y a aussi tout le soin de la maison : courses, lessives, ménage, rangement.

Un rythme intense et la vulnérabilité au sein du foyer

Donc l’intensité de ce travail ne répond à aucun horaire fixe et ne s’arrête pas non plus le vendredi soir, car même si l’autre parent peut prendre le relais quand il est disponible, l’accompagnement d’un petit enfant est une activité à temps plein, week-end compris.
Pas de pause donc dans ce choix de vie. Pas de salaire non plus. Pas de cotisation retraite, (sauf sous certaines conditions de ressources), de congés payés, de RTT, de chèque déjeuner, de statut juridique, de reconnaissance, tout simplement !
Il y a donc des mères, des pères parfois, qui cessent leur activité rémunérée pour prendre soin de leur enfant, et disparaissent de fait dans une totale indifférence sociétale.
Cela implique que l’un devienne dépendant et que l’autre parent soit celui qui porte sur les épaules la charge de ramener de l’argent pour nourrir toute sa famille. Quel impact le stress inhérent lié au fait d’être sans ressources pour l’un des parents, quand bien même cela est choisi, peut-il avoir au sein de la famille ? Et si le couple venait à rencontrer des difficultés pendant cette période sensible ? Qu’adviendrait-il de cet équilibre instable et inégal ?

Le paradoxe du travail non reconnu

Quand on a le choix entre s’occuper de sa famille ou bien faire un travail mal rémunéré et fatigant pour payer des heures de garde ou de ménage et ne pas être présent à côté de son enfant, ça ne laisse pas de doute à bien des parents.
Alors je pose la question : Pourquoi dans une société où l’on cherche la confiance en soi, l’autonomie et la responsabilité comme un modèle sain pour un individu adulte ignore-t-on les femmes et les hommes qui mettent entre parenthèses leur vie professionnelle pour aider leur enfant à acquérir ces valeurs ?
Puisque notre société donne de la valeur au travail, pourquoi ne donne-t-elle aucune reconnaissance pour ce travail invisible effectué dans des millions de foyers français ? Alors même que ces mères et ces pères qui le réalisent chaque jour avec dévotion contribuent à l’équilibre des adultes de demain ?

Tout travail mérite salaire

Maud Simonet, sociologue et chercheuse, parlait de « socialisation du salaire », une rémunération des individus en tant que producteurs indépendamment de leur tâches : « Penser salaire veut dire penser temps de travail, délimiter des tâches donc se mettre d’accord sur une convention collective, avoir des droits sociaux.2 »
La société donne de la valeur à l’argent, alors donnons un salaire aux parents si c’est le moyen de leur accorder de l’importance, de reconnaître leur utilité. Cela permettrait de vivre ce métier d’éducateur beaucoup plus sereinement en rééquilibrant l’inégalité au cœur de la famille.
Recevoir un salaire à la fin du mois pour avoir pris soin d’un être humain, pour l’avoir accompagné au jour le jour dans une atmosphère détendue et accueillante, c’est déjà une reconnaissance pour ce que le parent aura construit, un encouragement à persévérer malgré la fatigue, et surtout un message clair pour notre société de demain : nous reconnaissons le travail considérable du parent au foyer, son rôle majeur pour la société et lui donnons sa juste valeur.

Un combat de longue date

« Nous osons réclamer autre chose que du travail et revendiquer que toutes ces heures de travail gratis que nous faisons au ménager soient rétribuées, et avec effet rétroactif. C’est par le travail des femmes que le monde tient debout. Nous n’avons pas à ‘‘prendre conscience de notre oppression’’, mais de notre pouvoir.[…]3 »

Une idée de salaire minimum

« Selon l’Insee dans une étude datant de 2010, quel que soit son temps de travail, une femme vivant en couple et mère d’un ou plusieurs enfants de moins de 25 ans, accomplissait en moyenne :
– vingt-huit heures par semaine de tâches du périmètre dit “ restreint ” du travail domestique (cuisine, ménage, soins matériels aux enfants, entretien du linge, gestion du ménage) ;
– trente-quatre heures si l’on ajoute le périmètre “intermédiaire” (courses, jardinage, bricolage, jeux avec les enfants) ;
– quarante et une heures avec l’“extensif ” (trajets en voiture, soins d’un animal domestique).

Pour un homme dans la même situation, le temps de travail domestique est en moyenne de dix-huit heures (dix pour le périmètre restreint et vingt-six pour le périmètre extensif). Avec un salaire minimum de 9,76 euros brut de l’heure, une femme devrait recevoir une rémunération d’environ 1 327 euros par mois, un homme, de 702 euros...4 »


Transmettre l’amour, L’art de bien éduquer, Paul Lemoine, Éditions Nouvelle Cité (2007).
2 Le Travail bénévole : Engagement citoyen ou travail gratuit ?, Maud Simonet, Éditions La Dispute (2010).
3 Le Foyer de l’insurrection, Silvia Federici, Collectif L’Insoumise (1977)
4 « Combien devraient gagner les mères au foyer pour leur travail », Jean-Jacques Manceau, Forbes, 2019 : https://www.forbes.fr/finance/combien-devraient-gagner-les-meres-au-foyer-pour-leur-travail

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.