© Mélanie Mélot www.melaniemelot.fr

Pourrions-nous vivre sans le collectif ? Au-delà de l’adage bien connu selon lequel l’union fait la force, l’une des raisons pour lesquelles la survie de l’humanité est intimement liée à sa capacité à se réunir en collectif est la nature culturelle de notre espèce et, par là même, notre dépendance à la culture, une spécificité typiquement humaine, que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde animal. Je vous propose d’aller explorer cet aspect de notre nature avant d’évoquer de nouvelles manières d’affirmer la force du collectif.

Malgré la taille de notre cerveau, nous serions, pour la plupart, incapables de survivre en milieu « hostile » (dans la forêt tropicale, par exemple) si nous nous y retrouvions parachutés sans aucun matériel, contrairement à d’autres primates placés dans la même situation qui, eux, s’en sortiraient très bien. La raison en est que l’innovation au sein de notre espèce repose davantage sur notre socialité que sur notre intellect. Autrement dit, ce n’est pas parce que nous sommes particulièrement intelligents que nous avons imaginé tous les outils, les concepts et les savoir-faire dont nous disposons, mais c’est parce que nous avons développé tous ces outils, ces concepts et ces savoir-faire que nous sommes devenus intelligents.
Une autre spécificité humaine est notre présence sur tous les continents, sous des latitudes et des climats, et donc dans des conditions de vie, extrêmement variés. Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs se sont dispersés aux quatre coins de la planète, des déserts aux pôles ; aucun autre mammifère n’a investi des environnements aussi divers. Les seules espèces animales qui ont réussi à prospérer dans des environnements variés et des contextes écologiques différents, comme les fourmis par exemple, l’ont fait grâce à des adaptations génétiques successives, ce qui n’est pas du tout le cas de notre espèce. Nous nous sommes installés dans ces différents environnements progressivement tout en y développant des compétences et des techniques nous permettant d’y vivre et d’y prospérer.

Une espèce culturelle

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C’est pourquoi nous pouvons dire que nous sommes une espèce avant tout culturelle : nous apprenons les uns des autres, par imitation, par transmission, et c’est cela qui fait notre force et notre adaptabilité exceptionnelle. Ainsi, Joseph Henrich souligne1 que « nous dépendons d’un large corpus d’informations (adaptatives localement et transmises culturellement) qu’aucun individu isolé, ni même aucun groupe, n’est assez intelligent pour concevoir au cours de sa vie ». C’est en effet grâce à cette coopération, à cette mutualisation de nos savoir-faire et de nos compétences, mais aussi à l’évolution et à l’amélioration de ceux-ci dans le temps, que nous avons été capables de résister aux multiples prédateurs que représentaient pour nous nombre d’autres espèces animales.
Si les menaces qui pèsent sur nous ne sont plus les mêmes aujourd’hui, il n’en demeure pas moins que c’est, encore et toujours, grâce à la mise en commun de nos compétences individuelles et à la coopération que nous sommes en mesure de développer que nous pourrons nous en protéger et continuer d’exister.
Chez les chasseurs-cueilleurs, les plus jeunes ont appris les meilleures techniques de chasse ainsi qu’à reconnaître et à récolter les plantes par l’observation de leurs aînés, avant de transmettre à leur tour ce bagage à leurs descendants, et ce, de génération en génération. Il en va de même pour l’allaitement : les filles ayant eu le loisir de voir les mères mettre leurs bébés au sein le feront elles-mêmes sans difficulté lorsque leur tour sera venu.

Nous pourrions multiplier à l’infini les exemples comme ceux-ci, tout en faisant un parallèle avec la façon dont nous évoluons désormais dans nos sociétés modernes : l’éloignement familial (qui aujourd’hui, sous nos latitudes, vit à proximité de ses parents, ses grands-parents, ses oncles, ses tantes, ses cousins, ses cousines… une fois devenu adulte ?) couplé à la séparation précoce des adultes et des enfants (les premiers étant au travail pendant que les seconds sont gardés, puis vont à l’école) nous ont progressivement coupés de cette transmission par observation-imitation.
Interrogez au hasard quelques enfants sur l’activité de leurs parents : si la plupart savent mettre un nom sur le métier qu’exercent ceux-ci, en revanche, ils sont bien souvent incapables de décrire, encore moins de montrer (par la reproduction de gestes, par exemple), en quoi cela consiste. Et pour cause : ils ne sont presque jamais présents sur le lieu de travail de leurs parents et n’ont donc que très peu d’occasions, pour ne pas dire aucune, de les voir à l’œuvre.
De même, des générations entières d’enfants n’ayant pas été confrontés à l’allaitement (ni pour eux-mêmes, ou si peu, ni en ayant l’occasion de voir d’autres enfants être allaités) se sont retrouvés et se retrouvent encore incapables, une fois devenus adultes, de reproduire sans difficulté ce geste pourtant immémorial.

En faisant le choix de l’individualisme, notre société nous a privés de tout un panel de connaissances et empêchés de développer des capacités, non seulement utiles culturellement, mais aussi déterminantes quant à la capacité de survie de notre espèce.
On voit bien désormais les limites de ce modèle dans lequel nous nous sommes peu à peu enfermés : l’épuisement des ressources naturelles nous mène à une impasse et nous sommes bien incapables, pour la plupart d’entre nous, de subvenir à nos propres besoins et à ceux de notre famille si nous ne disposons pas de moyens financiers et de fournisseurs auprès desquels s’approvisionner en denrées alimentaires, en biens d’équipement, en énergie, etc.

Entraide et solidarité : les mots d’ordre d’aujourd’hui pour demain

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Heureusement, les consciences s’éveillent (ou se réveillent), de plus en plus d’initiatives tendant à contrer un système devenu caduc voient le jour et d’autres modes de fonctionnement se dessinent.
Près de chez moi, s’est par exemple créé un collectif à l’initiative de quelques personnes qui, du fait de la crise que nous traversons, se trouvent isolées, en manque de contact, sont, pour certaines, empêchées d’exercer leur activité, ou tout simplement témoins des difficultés rencontrées par d’autres et désireuses d’œuvrer à améliorer la situation. C’est ainsi qu’est née la Tribu, réseau local d’entraide, d’échange et de solidarité, qui, à travers la mise en place d’échanges de services, la mutualisation des compétences et des ressources de chacun·e, souhaite offrir une alternative en cette période de restrictions afin que personne ne se sente isolé.
Une fois par mois, ses membres se retrouvent pour échanger de vive voix, faire le point, lister les demandes, les besoins et les propositions émises par chacun·e.
Ainsi l’on peut, entre autres, si on le souhaite :

  • participer à un atelier de fabrication de produits d’hygiène et d’entretien (dentifrice, lessive…) ;
  • échanger des graines pour le jardin ;
  • apprendre à faire ses conserves et s’initier à la lactofermentation ;
  • fabriquer un récupérateur d’eau de pluie ou un panneau solaire ;
  • faire de la relaxation ou du yoga ;
  • recevoir un soin énergétique ;
  • se familiariser avec les plantes sauvages comestibles et en faire la cueillette
  • apprendre à (re)connaître et à ramasser les algues…

Certains proposent également de la garde d’enfants, d’autres des activités sportives en plein air pour les ados. En bref, les propositions ne manquent pas ! Et tout cela sans demande de contrepartie : en effet, le principe de la gratuité prévaut ; l’échange étant favorisé mais absolument pas obligatoire, puisque l’idée est vraiment que chacun vienne avec ses compétences tout en ayant connaissance de celles des autres, sans jugement de valeur, dans un esprit de convivialité et de solidarité. Et cela fonctionne plutôt bien !
À cela s’ajoute un rendez-vous hebdomadaire pour une balade partagée : l’occasion de faire un peu d’exercice physique au grand air, de découvrir de nouveaux lieux (chacun propose un point de rencontre et un circuit différents chaque semaine) et d’échanger d’une autre manière. Parfois, la rencontre est suivie ou précédée d’un repas pour ceux qui le souhaitent (autour d’un pique-nique, chacun apportant son panier, encore une autre façon d’associer convivialité et partage).

Solaris : remettre l’Humain au centre du réseau

Et les initiatives comme celles-ci n’ont pas fini d’essaimer. L’on voit par exemple éclore de nouvelles façons de se mettre en lien, à l’instar de Solaris. Parti d’une initiative locale qui voit le jour en 2021 dans l’Aude, le réseau Solaris2 se définit comme « un “Internet humain”, un réseau d’entraide et de solidarité qui commence dans [n]otre voisinage direct ». Sa mission : développer localement, mais sur l’ensemble du territoire grâce à la création de cellules locales, l’entraide et la solidarité entre tous. Là aussi, tout se fait « sans transaction commerciale, sans notion de troc ou d’une quelconque convention d’échange direct ». Son objectif : « organiser avec rapidité et efficacité la résilience dans un contexte s’aggravant sur tous les plans, social, politique, économique, sanitaire, climatique et géophysique […] l’horizon proche étant celui de l’autonomie locale en tous ses aspects ».

Concrètement, rejoindre le réseau permet d’alimenter une sorte d’annuaire local qui répertorie les ressources disponibles en termes de compétences, de matériel, d’hébergement, etc. Le premier contact peut se faire via Internet, où l’on trouve notamment la liste des canaux par département. Une fois rejoint un canal, on a accès à l’ensemble des cellules existant dans le département, ce qui permet de trouver la plus proche de chez soi. Il suffit ensuite d’entrer en contact avec le ou les référents de la cellule pour avoir accès à tout son maillage (contacts, activités, services proposés, etc.). En résumé, « les cellules s’activent en réponse aux demandes formulées sur leurs territoires » ; autrement dit, « plus le maillage humain est grand, plus la réponse est rapide » du fait de la proximité géographique de ceux qui la fournissent : un système simple et efficace, qui ne cesse de se développer depuis sa création puisque de nouvelles cellules voient le jour presque au quotidien.

Voici un bel exemple de mise en réseau basé sur l’Humain, qui représente une alter- native intéressante à de nombreux systèmes d’échanges.
Nous vous le disions dans le titre : le futur sera collectif. Et si on y travaillait dès à présent ?

« Le secret du succès de notre espèce ne tient pas à la puissance de nos esprits individuels, mais aux cerveaux collectifs que forment nos communautés. […] Les admirables technologies qui caractérisent notre espèce […] ne sont pas la création de génies isolés, mais du flux et de la recombinaison d’idées, de pratiques, d’intuitions hasardeuses et d’heureux accidents partagés par des esprits interconnectés au fil de nombreuses générations. »

Joseph Henrich, L’Intelligence collective, Comment expliquer la réussite de l’espèce humaine, Éditions Les arènes – Markus Haller (2019), p. 25-26.


1 L’Intelligence collective, Comment expliquer la réussite de l’espèce humaine, Joseph Henrich, Éditions Les arènes – Markus Haller (2019), p. 34.
2 https://solaris-france.org/

Maman de trois enfants, j'ai vu mes convictions quant à la nécessité de prendre soin de soi, des siens et de son environnement renforcées par la maternité. Déjà utilisatrice de produits naturels et privilégiant une alimentation la plus saine possible élaborée à partir de produits bio et locaux, j'ai tout naturellement poursuivi dans cette voie en allaitant mes enfants et découvert par la même occasion que je pratiquais le maternage proximal, étant aussi une adepte du cododo et du portage intensif en écharpe. Une fois plongée dans le bain, à l'écoute des besoins de mes tout-petits, je me suis passionnée pour la bienveillance et la non-violence rapportées à l'éducation. Et cela n'a plus cessé depuis ! Quand j’ai découvert Grandir Autrement, peu après la naissance de mon premier enfant, je me suis reconnue dans bien des témoignages, je me suis sentie concernée par les thèmes abordés et j’ai aimé d'emblée la façon dont les sujets étaient traités. Enfin un magazine qui parle de ce que je vis et ressens au quotidien, me suis-je dit ! C’est donc tout naturellement que j’ai eu envie de participer à l’élaboration de ce magazine en y adjoignant ma passion pour l'écriture afin de contribuer à la diffusion de sa philosophie qui m'a si bien éclairée sur mon chemin de maman.

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