
En quelques décennies, le sexe, sujet de conversation tabou, est devenu quasi omniprésent dans notre environnement culturel, que ce soit à travers les publicités, les jeux vidéo, les clips ou les magazines…
Toutes ces représentations hyper-genrées et ultra-normatives, tournées principalement autour de la satisfaction masculine, sont source de dissonance, de confusion, et de perte de repères pour les femmes dont le plaisir est souvent relayé au second plan.
Cette ère très sexualisée dans laquelle nous évoluons regorge d’injonctions et de représentations sexuelles, visant principalement à rendre les femmes attirantes et sexuellement intéressantes pour les hommes.
Nous trouvons régulièrement dans la presse féminine ou les blogs traitant du sujet de multiples conseils pour satisfaire Monsieur et devenir les reines du plumard. « Mais curieusement, il est beaucoup plus rare de recevoir des encouragements à nous sentir bien dans notre culotte et libérées de tout ce qui nous oppresse et nous empêche de jouir à NOTRE manière. »1
Body positive
Tout, tout dans notre société, induit, affirme même, qu’un corps féminin mince, lisse et épilé représente la norme de LA beauté. Et soyons en plus sexy et attirante, s’il vous plaît !
Comment se sentir bien dans notre corps et dans notre féminité lorsque notre morphologie ne correspond pas à la norme imposée ? Comment encaisser les remarques déplacées vis-à-vis de nos bourrelets sans avoir envie de pleurer ?
Il n’y a malheureusement pas de recette miracle pour cela, à chacune de trouver son chemin vers soi-même (« soi m’aime »), dans cette conscience que rien de ce qu’on nous impose n’est vrai. Caresser, masser son corps, lui donner de l’amour serait déjà un premier pas vers l’estime de soi.
Cette norme des corps féminins, alimentée par la presse grand public, se voit relayée dans des espaces plus intimes par la pornographie. Car, outre un corps parfait, voilà qu’on nous invite maintenant à avoir une vulve parfaite. Sans poils, cela va de soi, et sans rien qui dépasse. C’est ainsi que les opérations de chirurgie esthétique visant à se faire retrousser les lèvres fleurissent auprès des jeunes femmes en fleur.
En se pliant à cette norme de la vulve parfaite, ces femmes se privent de centaines de terminaisons nerveuses susceptibles de leur procurer du plaisir si on s’y intéresse.
Car bien évidement, je ne vous apprendrai rien en écrivant ici qu’une infime partie du sexe féminin est pris en considération lors des rapports sexuels hétérosexuels.
Clito or not clito ?
Outre le syndrome du corps et de la vulve parfaits, les films pornos mainstream alimentent une sexualité très largement tournée vers l’assouvissement des fantasmes et du plaisir masculins, faisant de la pénétration le sacro-saint Graal du plaisir sexuel dont nous devrons toutes nous satisfaire. L’image féminine y est souvent représentée comme soumise, s’abandonnant au plaisir de l’homme plutôt qu’au sien.
Pourquoi cette fascination pour la pénétration ? Notre cher Freud a très largement contribué à cette croyance en affirmant que l’orgasme vaginal était réservé aux femmes matures tandis que les femmes immatures se contentaient d’un orgasme clitoridien. Si bien que dans les années 1920, Marie Bonaparte, descendante de Napoléon, frustrée de ne pas connaître la jouissance, eut recours à la chirurgie esthétique par deux fois afin de faire déplacer son clitoris à l’entrée de son vagin, plutôt que de demander à son mari de déplacer ses caresses ; ceci au risque de paraître immature.
Et voilà comment notre cher clitoris, organe ultime du plaisir féminin, s’est retrouvé une nouvelle fois banni. Cette anecdote clitoridienne n’en est qu’une parmi tant d’autres…
Elle paraît loin l’époque païenne où le sexe de la femme était vénéré comme un joyau de fertilité. L’avènement du christianisme en aura voulu autrement.
Longtemps considéré comme une petite glande frémissante cachée sous un petit capuchon de chair, « le Vrai clitoris [est] un organe très étendu qui contient à peu près autant de tissus érectiles qu’un pénis. Avec son cou recourbé, ses ailes grandes ouvertes et son corps charnu, le clitoris évoque la silhouette d’un cygne. »2
Pourvu de plus de huit mille terminaisons nerveuses, le clitoris est le seul organe dont la seule raison d’être est le plaisir. Qu’il soit stimulé directement via des caresses sur sa partie visible, ou indirectement par des frottements via la pénétration sur ses parties cachées, il n’en reste pas moins stimulé.
Et voilà que s’effrite alors la vieille croyance de l’existence d’un orgasme vaginal ou clitoridien !
Longtemps dominé par des facteurs sociaux visant à contrôler et minimiser le plaisir des femmes, le clitoris a connu quelques sombres décennies. Les premières illustrations détaillées de la structure clitoridienne réalisées en 1844 par l’anatomiste allemand Georg Ludwig Kobelt, ont vite été oubliées. Ce n’est qu’en 2009 que deux gynécologues français·es, ont réalisé une échographie de la structure clitoridienne, le dévoilant ainsi dans son entièreté.
Sex’plorer
Nous l’aurons compris, pas facile de s’y retrouver dans cette foire à la sexualité débridée et conditionnée de mille manières par notre environnement culturel.
Comment identifier notre désir ? Comment reconnecter notre plaisir ? Comment se sentir libre de jouir ?
Si la masturbation peut paraître évidente pour certaines, elle est loin d’être monnaie courante pour toutes. « Selon une étude réalisée en 2017, 26 % des femmes ne s’étaient jamais masturbées, seules 14 % se masturbent toutes les semaines contre 50 % des hommes. »3
Encore une fois, la société patriarcale actuelle induite autrefois par l’avènement du christianisme n’est pas étrangère à ce tabou sur le plaisir sexuel des femmes. De nombreuses femmes se sentent déconnectées de leur corps et de leur plaisir. Beaucoup ne connaissent ni la jouissance ni l’orgasme. Tandis que d’autres se croient frigides.
« Il devient urgent de faire bouger les lignes de conduites qui entravent l’accès des femmes à leur propre plaisir. »4
S’affranchir d’une norme culturelle demande courage et persévérance.
Si les années 1970 ont permis une forme de libération sexuelle, elles n’en sont pas moins restées dominées par une vision assez masculiniste du plaisir. C’est ainsi que sur fond de philosophie new age et de spiritualité, de nombreux « gourous » masculins prétendaient détenir les clés du plaisir féminin, n’hésitant pas à abuser de ce soi-disant savoir.
« La vague actuelle semble davantage axée sur l’éducation sexuelle des femmes par les femmes, qui se confient les unes aux autres les clés pour aimer le sexe sans les hommes aussi bien qu’avec eux. »5
Les mœurs sur le sujet semblent avoir beaucoup plus évolué outre-Atlantique.
Aux États-Unis, l’association OneTaste propose des méditations orgasmiques focalisées sur le plaisir féminin, durant lesquelles le partenaire caresse en conscience les parties génitales de sa partenaire avec le doigt, tandis qu’elle ne se concentre sur rien d’autre que sur le plaisir ressenti.
À Toronto, chez Good for Her, un sex shop destiné au plaisir des femmes, il est possible d’assister à des ateliers destinés à apprendre à avoir un orgasme, sur base de bienveillance, d’écoute et d’échanges, l’animatrice accompagne les femmes à reconnecter leur corps via les caresses et la masturbation, tout en se soutenant mutuellement.
Si nous n’en sommes pas encore arrivés à ce type de propositions en France, il est tout de même possible de sex’plorer en groupe en prenant part à des ateliers de tantrisme, dont le but est de se reconnecter à notre énergie sexuelle et à notre sexe à partir de la dimension de notre cœur.
« Sur la toile des comptes Instagram comme T’as joui, Gang du clito, Jouissance Club, La Prédiction ainsi que le foisonnement de festivals scientifiques, podcasts dédiés et autres sites consacrés à la sexualité, témoignent d’une même appropriation par les femmes de leur potentiel sexuel. »6
1 Libres ! Manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels, Ovidie et Diglee, Éditions Delcourt (2017).
2 Jouir, en quête de l’orgasme féminin, Sarah Barmak, Éditions Pocket (2021).
3 Chiffres Ifop.
4 Sarah Barmak, op. cit.
5 Ibid.
6 Ibid.