© Éloïse F

Le volume sonore d’une conversation entre adultes peut rapidement monter  en décibels s’il y a un fou rire. La première pensée qui vient à l’esprit en  les entendant serait « Ils sont contents ». Les réactions des adultes sont différentes quand ce sont les enfants qui s’expriment fort. « Ils font du bruit ! », se plaignent certains, peu importe le type d’émotion manifestée.

Anne (35 ans) parle au téléphone avec une amie. Au bout de dix minutes, sa voix douce et amicale ressemble d’un coup à un barrissement d’éléphant en rogne. Anne est très dérangée, un dérèglement externe perturbe son échange si plaisant avec son amie. Elle entend, depuis quinze secondes, son fils Sébastien (2 ans) qui tape fort sur une chaise. Quoi de plus « normal » que d’être dérangé par un bruit pendant une conversation téléphonique ? Cela peut arriver à tout le monde. Cependant, Anne ne supporte aucun bruit suffisamment fort ou répétitif, qu’il émane de son fils ou de quelque autre enfant que ce soit se trouvant dans un rayon de quelques mètres autour d’elle. Pourtant, elle reste stoïque en entendant la musique de son voisin (musique qui n’est pas de son goût) même si celle-ci atteint souvent un niveau de décibels plus élevé que les coups de chaise de Sébastien et peut durer entre quarante-cinq minutes et deux heures.

Le cas d’Anne illustre bien celui de nombreux adultes qui ne supportent pas certains bruits émis par des enfants, particulièrement leurs cris.

Les adultes ont le droit de faire du bruit, eux

Lucie (6 ans) joue avec le chien, tous les deux sautent et crient de joie. La joie ne dure que quelques minutes car Mamie la fait taire brusquement, sans aucun autre argument que le respect de sa propre consigne « On joue calmement et en silence ici ! ». Or, Papy parle très fort et lance de lourds éclats de rire, longs et au ton grave (sans parler des ronflements durant toute la nuit). Lucie se bouche les oreilles de temps en temps car les sons émis par son grand-père sont vraiment forts mais elle se doit de rester polie. Mamie ne dit rien.

Les petits voisins « bruyants »

Sarah (3 ans) et Jules (5 ans) s’amusent beaucoup dans la cour de l’immeuble où ils habitent, ils rient et ils sautent, ils grimpent sur le bord de la petite grille qui longe un rosier. Chaque fois qu’ils se croisent dans les espaces communs de l’immeuble ils crient de joie ! Il se passe beaucoup de choses pendant que leurs parents se disent bonjour et parlent de la météo. Chevalier Jules exprime sa forte moti­vation et son courage, il prépare quelque chose qui ressemble à un duel avec Chevalière Sarah. Tous les deux bougent, ils cherchent des objets pouvant servir d’épée, parfois ils en trouvent et c’est d’autant plus excitant. En les observant nous pouvons imaginer la suite d’une histoire. Une histoire passionnante aux yeux d’Adam (2 ans) qui arrive tout juste derrière avec son papa. Adam les suit en criant d’excitation, voir ses petits voisins chevaliers le fait sauter de sa poussette. Il sort, les imitant avec son épée imaginaire et les suit en courant et en faisant des zig-zags entre les jambes des parents. La cour de l’immeuble prend vie, petits et grands se retrouvent dans un même espace. Soudainement, l’un des chevaliers aperçoit une coccinelle. Quelle trouvaille ! Double curiosité pour Adam qui lance à nouveau un cri de surprise, d’émerveillement alors que la petite bestiole prend son envol. Juste à cet instant-là, madame Richard apparaît à la fenêtre et leur dit de se taire.

Le calme tant recherché

Même si rester en empathie avec l’intolérance « adultiste » me demande un effort considérable, je peux m’aligner avec l’idée que nous vivons dans un environnement trop bruyant, surtout dans la ville, qui nous fait tomber facilement dans un état de stress. Un cri de plus, c’est un cri de trop.
Cependant, comment se fait-il que les mêmes adultes qui ont du mal à supporter les cris des enfants s’immergent dans un état de joie et dans un esprit de convivialité quand ils se retrouvent dans un bar bruyant, dans une salle de concert, sur un quai de métro, dans une fête de famille ou dans un centre-ville où l’on entend les voitures, les sirènes des camions de pompiers et les grossièretés de gens pressées ?

Que faire quand les cris des enfants nous dérangent ?

Premièrement, il est inutile de faire taire un enfant. En essayant de supprimer l’expression de ses émotions il comprendra que son vécu n’est pas légitime et la lutte interne s’intensifie.
Les cris d’enfants peuvent être un obstacle physique quand nous sommes en train de parler ou d’écouter quelqu’un d’autre. Un bruit en cache un autre indépendamment du fait qu’il soit produit par un enfant, une personne âgée ou une poinçonneuse. Une question à se poser serait : suis-je dérangé.e par les cris d’enfants uniquement quand ceux-ci m’empêchent d’entendre lors d’une activité ou d’une  conversation ?
À noter tout de même : il existe des personnes atteintes de misophonie, « un trouble psychique caractérisé par une aversion à certains sons faits par une autre personne que soi. La prise en charge est psychothérapeutique1 ».

Accepter nos propres émotions

Au lieu de crier à notre tour : « Doucement ! » ou « Tais-toi s’il te plaît » ou même en demandant le plus poliment possible tout en avalant notre agacement « Les enfants, vous voulez bien jouer sans crier s’il vous plaît ? », une solution serait de se parler à soi-même. Quelques secondes suffisent pour accueillir et se demander  : comment je me sens en entendant ces cris ? Au premier abord, la question a l’air évidente mais en creusant un petit peu, d’autres ressentis peuvent être identifiés, comme la colère, la fatigue, l’anxiété, le stress et même des sentiments plus profonds comme la tristesse, l’abandon, la honte ou la lassitude.
Essayons de trouver ensuite une manière d’apaiser cette émotion ou ce sentiment sans impliquer l’enfant dans l’exercice. Le cri de l’enfant ne serait que l’élément déclencheur d’un état d’âme qui nous appartient. Faire l’exercice une première fois en entendant les cris d’un enfant inconnu aide à se positionner dans le contexte sans personnaliser ni accuser.

S’intéresser à ce que vit l’enfant quand il crie

Il y a des cris de colère, des cris de détresse, des cris d’impatience ou de frustration qui peuvent causer de la peine en plus d’une gêne sonore. Le problème c’est surtout l’intolérance aux cris qui expriment des sentiments agréables. Sommes-nous dérangés par le bonheur, la gaieté et l’exaltation des enfants qui jouent ?
Après notre dialogue interne, nous avons le choix entre laisser l’enfant extérioriser tout en restant complice et en le protégeant des interventions des inconnus ou bien de s’approcher pour lui parler très doucement afin d’établir un contact empathique. Parfois l’excitation est très forte et l’audience exprime son énervement en attaquant l’enfant. En s’approchant de l’enfant, on montre aux gens autour qu’on prend en charge la situation et on évite les remarques et jugements désagréables envers l’enfant.

Que dire à un enfant qui crie fort ?

Rien du tout ! Sauf si le bruit est vraiment dérangeant en fonction de la situation. Il est préférable de toujours accueillir en se connectant à l’intensité de l’émotion : « Ça a l’air très excitant ce à quoi tu joues ». On peut ensuite nommer le problème, « Les cris empêchent les autres de s’entendre », et proposer une autre manière de manifester son vécu, « Et si tu me racontais à l’oreille ce qui te rend si content ? », ou demander à l’enfant s’il a d’autres idées pour s’exprimer : « Est-ce que tu as une autre idée pour me dire à quel point tu es content ? »

Pour aller plus loin :

Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent,  Adele Faber et Elaine Mazlish, Éditions du Phare (2012),  chapitres 1 et 2.


1 Source : https://www.passeportsante.net/fr/Maux/Problemes/Fiche.aspx?doc=misophonie

Mère d'un enfant né en 2003, diplômée en Communication, Je suis formatrice, organisatrice et animatrice d'ateliers divers dans le milieu associatif et pour parents et enfants bilingues. J'ai suivi les formations Faber et Mazlish et j’anime ces ateliers en français et en espagnol. En 2009, je participe à la rédaction du guide "Animer en langue maternelle, un jeu d’enfants !", outil de formation au sein de l’association D’une langue à l’autre.

1 COMMENTAIRE

  1. Bonjour,
    Merci pour cet article très enrichissant ! Cependant, je l’ai trouvé lacunaire sur certains points. Déjà, les cas d’adultes que vous décrivez, et dont vous faites une généralité, sont loin de représenter toutes les personnes intolérantes au bruit.
    Je ne supporte pas non plus quand mes collègues discutent trop près de moi quand je travail. Je ne supporte pas non plus un vroum vroum trop prolongé. Mais les cris d’enfants, c’est encore pire. Contrairement aux conversations d’adultes, les enfants ont des voix suraigues. Contrairement à la musique, les cris d’enfants sont aléatoires et peu harmonieux.
    Ensuite, mes émotions n’ont rien à voir avec l’histoire. Un abus de bruit (notamment enfants à cause de la fréquence aigue), me cause des migraines bien concrètes et bien réelles. Je trouve un peu dommage que la conclusion de cet article soit “bourre toi de dolipranes parce que les enfants c’est sacré, plutôt que leur apprendre que le vivre ensemble, ça va dans les deux sens”

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