© Famille Ouimet

Outre-Manche, Mélanie Ouimet est l’une des références les plus actives dans le domaine de la neuroatypie : autrice et conférencière, elle est à l’origine du site « La Neurodiversité » et de la Journée mondiale de la neurodiversité1. Elle était donc toute indiquée pour nous parler d’hypersensibilité. Ah oui, elle est aussi elle-même atypique !

  • Grandir Autrement : De quoi parle-t-on au juste ?
    Mélanie Ouimet : L’hypersensibilité est une caractéristique du système nerveux qui permet à certaines personnes de percevoir plus de détails que la majorité des gens. Ces personnes perçoivent l’ambiance, les bruits, les états émotionnels, les craquements sur le plancher. Les moindres subtilités et nuances de l’environnement qui échappent aux autres sont perçues par les hypersensibles. Les sens sont en plein éveil, prêts à tout capter. Les expériences sensorielles sont immenses et colorées.
  • Peut-on l’apprivoiser et en faire un atout ?
    Oui, nous devons l’apprivoiser. Elle est particulièrement subie chez les jeunes enfants qui, alors qu’ils ont un cerveau immature, sont assaillis par leur environnement hyperstimulant. Ils ont donc besoin de soutien de la part des adultes pour réguler leur stress et leurs émotions. L’hypersensibilité s’accompagne de défis qui ne sont pas insurmontables. Au fil des années et avec les bons outils, il est possible de l’apprivoiser sans la subir. Les réactions du type « Calme-toi », « Inutile d’exagérer », « Arrête de réfléchir autant », « Tu es bien trop émotif » sont très fréquentes. Il est difficile de voir notre hypersensibilité comme un atout en étant aussi incompris et lorsque la sensibilité est mal perçue par la société. L’hypersensibilité est un tempérament neurologique : nous nous servons autrement de notre cerveau et cet autre regard est un atout pour la société. L’hypersensibilité amène des forces créatives, artistiques, visionnaires, philosophiques, empathiques, intuitives. Chaque mode de fonctionnement cognitif est important et précieux pour l’évolution de la société.
  • Comment accompagner au mieux son enfant dans l’intensité de ses émotions, et comment le rassurer ?
    En tant que parents, le plus beau cadeau que nous puissions offrir à nos enfants est de lui donner des racines et des ailes. Avec une approche de la parentalité positive alliant sécurité, présence et liberté à l’enfant, nous lui permettons de croître et de développer ses compétences. Les enfants hypersensibles recherchent profondément le lien qui leur dit : « Je te vois, tu existes et je vois la vie qui est en toi. » Il est important d’être présent pour eux, de les accompagner dans ce qu’ils traversent et de leur envoyer le message que nous avons confiance en eux. Nous pouvons les accompagner en leur donnant la permission de vivre leurs émotions avec toute leur intensité. Nous pouvons offrir des espaces apaisants pour eux. Être ouvert et sans jugement. Être présent et accueillir tout ce qui est là. Sans rien faire, sans rien changer. Permettre à l’enfant de se déployer à son rythme, confiant dans le fait qu’il va développer ses compétences, croître et trouver des stratégies qui lui conviennent.
    Les garçons hypersensibles sont souvent incompris. Leur mal-être peut se traduire par des comportements perturbants comme l’hyperactivité, l’impulsivité, l’opposition, la provocation et l’agressivité. Il y a tant de préjugés sur la sensibilité masculine qui éloignent le jeune garçon de ses émotions, de ses besoins, de son empathie et de sa compassion. Autant pour les filles que les garçons, les émotions intenses ont besoin de s’exprimer et d’être accueillies.
    Je préfère le terme « soutenir » que « rassurer », car il offre un espace relationnel qui allie sécurité et liberté. Nous avons collectivement peur des émotions, si bien que la société cherche inconsciemment à les taire et à les étouffer. Nous cherchons inconsciemment à mettre un couvercle dessus, même pour la joie. Il est difficile d’accueillir l’intensité émotionnelle d’un enfant. Ceux qui sont témoins de l’intensité émotionnelle se sentent souvent impuissants. Nous avons le réflexe de « vouloir faire » et de « vouloir aider » alors que le meilleur accompagnement consiste à offrir une présence qui amène le « Je te vois », « Je mesure à quel point ça te touche », « Je vois combien tu as peur », « Je vois l’étendue de ta tristesse ».
  • Y a-t-il un lien entre l’hypersensibilité et les divers profils cognitifs atypiques ?
    Il n’y a pas de lien scientifiquement établi, mais les personnes neurodivergentes sont souvent hypersensibles. Certains comportements jugés « difficiles » s’expliquent par cette hypersensibilité. Par exemple, ce que nous percevons comme un repli sur soi en autisme est souvent une sorte de pas de recul face à l’environnement surstimulant. Un enfant n’est plus capable de parler tant le flux d’information entrant interne et externe (auditif, tactile, visuel, intuitif, pensées, émotionnel, physiologique) est immense. Un enfant incapable de se concentrer, qui a besoin de bouger ou qui, à l’inverse, procrastine, peut être assailli par des stimulations et donc par le stress qu’il ressent dans son corps.
  • Hypersensibilité et incommodité : comment faire et quelles sont les clés pour bien vivre avec ?
    Un stimulus est une activation pour le système nerveux et donc un élément de stress pour notre organisme. Un hypersensible en perçoit beaucoup et c’est très incommodant s’il ne parvient pas à canaliser tout ce qui se passe en lui et lorsque le niveau de stimulation est tel qu’il sature son cerveau et son corps.
    Pour soi, il est essentiel d’apprendre à ressentir ses sensations corporelles, de tolérer l’intensité à l’intérieur de soi, de décoder ses émotions et ses besoins subjacents. Se donner la permission de pleurer, de vivre des deuils, d’être en colère, d’avoir peur, de ressentir pleinement ses émotions et de les laisser nous traverser, de faire la distinction entre ce qui nous appartient et ce qui appartient à l’autre. Il est aussi important de mieux se connaître, d’apprendre à refuser des invitations, de prendre soin de soi, de méditer, d’être en contact avec la nature, de faire du yoga, d’adopter un rythme de vie plus sain et plus lent. Tout ce qui est apaisant et qui établit un contact avec soi permet de demeurer ancré et de moins perdre pied en cas de pic de stimulation.
    En relation avec les autres, il est important de chercher à créer un vivre-ensemble qui réunit tous les modes de fonctionnement. Nos émotions sont notre boussole intérieure et prendre le temps de les écouter permet de mieux comprendre nos besoins et d’entretenir de meilleures relations avec les autres. L’intensité de nos émotions nous appartient, nous en prenons la responsabilité. L’autre n’a pas à s’adapter et nous n’avons pas à nous adapter. Nous avons la responsabilité de ne pas nous décharger en intensité sur l’autre, mais d’exprimer sainement ce qui se passe en nous. Nous devons tous apprendre à co-construire ensemble en tenant compte des besoins et des limites de chacun.
  • Que faire quand l’intensité d’une émotion nous nuit ?
    Revenir à la pleine présence et à l’ancrage : se concentrer sur notre corps pour s’extirper de nos pensées. En général, ce sont nos pensées envahissantes et intenses qui sont difficiles à vivre et non l’émotion physiologique passagère. Il s’agit de revenir à ce qui est présent ici et maintenant dans notre corps, ce qui n’est pas chose facile mais ce sont des compétences qui s’acquièrent tout au long de notre vie.

1 Mélanie Ouimet est également créatrice du site « Parents Éclairés » et animatrice d’ateliers Filliozat.

À la naissance de mes enfants, j'ai pris mon rôle de papa très à cœur. Je me suis progressivement ouvert à la bienveillance éducative, au portage, au co-sleeping, à l'allaitement long, à l'expression des émotions et dernièrement à l'IEF. J'ai rapidement trouvé dans Grandir Autrement l'accompagnement dont j'avais besoin pour éclairer mon propre cheminement de père. Traducteur et écrivain public, j'ai toujours évolué dans le milieu de l'écriture et c'est presque naturellement que j'ai soumis au cours de l'été 2019 ma première chronique au magazine qui avait lancé un appel pour recevoir des témoignages de papa. Je n'ai pas de formation particulière, juste mon expérience de père et l'envie d'échanger sur les merveilles/difficultés de la paternité et sur le monde qui reste à créer pour nos enfants.

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