
L’adolescence rime souvent avec une utilisation parfois importante des écrans et notamment des jeux vidéo ou des réseaux sociaux. Si une grande partie des parents y voient un signe de dépendance et souhaiteraient que leurs ados prennent davantage l’air, à l’image de leur propre jeunesse sans écran, d’autres ont lâché prise, et considèrent finalement que cet attrait pour les écrans n’est peut-être pas aussi négatif que ce qu’on en dit ; point de vue biaisé largement colporté et amplifié par les médias.
Prenons comme point de départ une anecdote. Il se trouve que j’ai animé lors des derniers Happy milk à Paris1 une conférence pour parler des écrans. Dans le public il y avait essentiellement des parents de très jeunes enfants, un public donc encore peu concerné, mais toutefois averti. J’adopte résolument un point de vue à l’opposé du courant de pensée en vogue, j’explique les bienfaits des écrans et je dédramatise. Oh, bien sûr, je dis deux mots sur les risques2, mais des parents avertis les connaissent déjà et ne sont pas là pour réentendre la même rengaine. À la fin, un jeune papa est venu me trouver, avec un bébé endormi dans ses bras. Il était ému, il m’a remerciée d’avoir parlé ainsi. Il me dit alors qu’il est gamer et a toujours été addict au jeu vidéo. Il reconnaît : « Je suis tombé dans la marmite des jeux vidéo alors que je n’allais pas très bien, mais heureusement que j’ai eu cela pour m’aider. J’ai trouvé une communauté de gens extraordinaires, des amis qui sont ensuite devenus amis irl3, et j’ai rencontré ma femme, je suis maintenant papa, j’ai un travail, je suis bien dans mes baskets, et je suis un jeune homme sociable. Je n’en reste pas moins un gamer, et je le resterai probablement à vie. » Cet instant a été très important pour moi, j’ai compris que cette position que j’avais adoptée parce qu’étant moi-même gameuse et maman d’un jeune gamer est très importante pour les jeunes car je représente la voix de la génération de leurs parents, celle que l’on écoute plus volontiers.
Plus compétents
Nos jeunes seraient plus compétents lorsqu’ils jouent à des jeux vidéo. Oui, vous avez bien lu ! Cela semble être le monde à l’envers alors que ces jeux ont souvent été considérés comme débilitants. Vanessa Lalo, psychologue clinicienne, spécialisée en jeux vidéo, parle ainsi : « Quand on joue, 30 à 70 processus cognitifs sont utilisés. Les jeux vidéo permettent un entraînement cérébral et peuvent même être un moyen de développer ses capacités cérébrales. […] les jeux vidéo aident à développer les capacités narratives, la concentration, la mémoire, la coordination motrice. Les joueurs ont une meilleure capacité à résoudre des problèmes et prennent des décisions plus rapidement.4 »
Daphné Bavelier est professeure de neurosciences à Genève, elle s’est intéressée aux jeux vidéo. Elle démontre dans un Ted Talk5 que les idées reçues sur les jeux vidéo sont fausses. Les joueurs n’ont pas de vue amoindrie, au contraire les jeux vidéo leur permettent de voir des détails que d’autres ne voient pas, les jeux d’action n’entraînent pas de problèmes d’attention. Des adultes normaux typiques peuvent étendre leur attention à trois ou quatre objets différents, un joueur de jeux vidéo d’action peut étendre son attention à six ou sept objets. Elle parle également de la capacité à être multitâche : « Nous concevons des tâches sur ordinateur qui permettent de mesurer, à la milliseconde près, leur aptitude à passer d’une tâche à une autre. En faisant ça, nous trouvons en fait que les gens qui jouent beaucoup aux jeux d’action sont très, très bons. Ils passent de l’une à l’autre très rapidement. Ça leur coûte très peu. […] Ces jeux vidéo d’action ont certains ingrédients qui sont vraiment très puissants pour la plasticité cérébrale, l’apprentissage, l’attention, la vision, etc., et donc nous travaillons sur la compréhension de quels sont ces ingrédients actifs, de façon à vraiment pouvoir en tirer parti pour produire des jeux meilleurs, que ce soit pour l’éducation ou la rééducation des patients. »
En 2016, Alberto Pesso a mené une étude en Australie au Royal Melbourne Institute of Technology. Celle-ci concernait un panel de jeunes Australiens âgés de 15 à 17 ans et démontre que les jeux vidéo auraient un impact positif sur leurs résultats scolaires en mathématiques, en lecture et en sciences. Ce qui est vrai pour le jeu vidéo ne le serait pas en revanche pour une utilisation quotidienne des réseaux sociaux, ce serait même l’inverse qui se produirait.
La Michigan State University (« MSU ») a également mené une étude portant sur près de cinq cents jeunes Américains de 12 ans et a montré que plus les enfants jouaient aux jeux vidéo, plus ils étaient créatifs dans certaines compétences telles que le dessin ou l’écriture d’histoires.
Enfin, une étude espagnole menée sur deux cent soixante enfants a montré les résultats d’un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM), permettant ainsi de voir ce qui se passe dans le cerveau. L’IRM a montré que tous les joueurs présentaient une augmentation de la matière blanche dans la région du cerveau servant au développement de la motricité.
Violence et sociabilité

Nombre de recherches sont faites pour tenter de voir clair dans le lien entre la violence des jeux vidéo et la violence dans la vie réelle ou l’asociabilité des jeunes joueurs. Aucune étude n’a permis d’établir avec certitude que « les jeux vidéo, même violents, ont une influence négative sur le comportement des joueurs dans la vie réelle. Il en est de même de la cyberdépendance, qui est effective, mais dont rien ne permet de dire qu’il s’agit, à l’instar des toxicomanies, d’une dépendance ‘’lourde’’ : aucun cas de violence contre soi ou contre autrui ne semble à ce jour avoir été signalée pour cause de “manque”. Au contraire, les jeux vidéo suscitent des formes originales de sociabilité en marge du jeu6 ». À l’instar de ce jeune papa cité en début d’article, beaucoup de jeunes se créent des réseaux d’amis grâce aux jeux vidéo. L’image du gamer isolé dans sa chambre est un mythe. Ils sont connectés en vocal et parfois en vidéo et profitent des moments de jeux pour discuter de tout et de rien et confronter leurs idées, opinions sur la vie et ce qui les entoure. Plusieurs parents témoignent en ce sens. Lydia voit bien jour après jour combien Arthur est épanoui, il discute longtemps avec ses amis, et ensuite, lui raconte tout ce qui s’est raconté durant sa séance de jeu. Maria est bluffée quand son fils émet des idées très matures pour son âge (15 ans) sur la politique. Lorsqu’elle lui demande comment il a développé ses opinions, il lui lâche : « Beh on parle avec les potes ! Et je m’informe aussi… » Il fait partie d’une team pour jouer en réseau, il regarde beaucoup de streamers, et « il a un regard incroyablement détaché et lucide sur ce qui se passe autour de nous, dans notre pays et dans le monde », dit-elle. Enfin, Antonin, 14 ans, témoigne sur Brut de sa passion pour les jeux vidéo et explique qu’il n’est pas « teubé » et a des amis, joue au foot avec eux, etc. Son témoignage est à la base sur le fait de ne pas aller à l’école mais on voit bien qu’il joue beaucoup et il semble être un jeune bien dans ses baskets7.
Enfin, cela va même plus loin, des études montrent que les jeux vidéo favoriseraient le développement de nos compétences sociales : « il y a dans les jeux un potentiel pour développer chacune des compétences listées par le CASEL8, conscience de soi, maîtrise des émotions, conscience des autres9 ».
Réalité versus fiction
Plusieurs études ont été menées sur les risques de confondre réalité virtuelle et réalité réelle. Toutes, à ce jour, montrent que les jeunes font la différence entre la fiction du jeu, ou réalité virtuelle, et la vie quotidienne, ou réalité réelle. Si la violence fait partie de la réalité virtuelle, elle ne déborde pas et demeure confinée à celle-ci. Ces études sont allées même au-delà et ont mis en évidence des formes originales de liens sociaux voire amicaux : réunions entre copains, organisation de teams, regroupements vocaux à l’occasion des compétitions. C’est un peu comme si la violence si réaliste dans les jeux vidéo poussait les jeunes à trouver des solutions pour la combattre, en créant des alliances, où la coopération et la solidarité seraient de mise10.
Les réseaux sociaux sont souvent attaqués car ils ne refléteraient pas la réalité et nous en éloigneraient en faisant croire aux autres que les images véhiculent du vrai. S’il est vrai que les réseaux sociaux sont souvent faits de réalité augmentée (expression mentionnant que les photos et vidéos sont traitées et améliorées avant d’être publiées), d’aucuns considèrent finalement que la réalité virtuelle qu’ils véhiculent ne serait pas si éloignée que cela de la réalité réelle, ils pourraient être un miroir de la nature humaine. Pourtant, certains misent sur ces différences pour jeter les masques et montrer la photo publiée versus la photo réelle ! C’est le cas par exemple de certains comptes Instagram11 où des images de réseaux sociaux sont juxtaposées avec des images de réalité. Cyprien, premier YouTuber français, n’est pas en reste avec ses pubs versus la vie12.
Il n’est pas complètement hors-sujet de parler de l’événement annuel Zevent. Le 18 octobre se terminait la quatrième édition de ce marathon de streaming agrémenté de défis tous plus farfelus les uns que les autres pour le plaisir de tous. Pendant quatre jours, les gamers, puisque ce sont eux essentiellement qui le suivent de près, ont donné un peu plus de 5.7 millions d’euros pour la cause défendue. Est-ce utile de préciser que les revenus de cette catégorie, les gamers, sont très faibles ? Ce sont donc des milliers de petits dons qui ont permis d’atteindre cette somme. Pour réaliser cet exploit, les jeunes addict des écrans sont forcément sensibilisés à ce qui se passe dans le monde, ils sont confrontés à la réalité réelle et usent de leur empathie pour aider les autres. Non, ils ne restent pas derrière leurs écrans coincés dans la réalité virtuelle.
Apprendre à se relever…
Pour conclure cet article, alors même que ce sujet mériterait un dossier à lui tout seul tant j’ai dû sélectionner les études et les thèmes à aborder, je voudrais citer Peter Gray au sujet des écrans. Pour lui, Internet et les écrans ne sont pas à bannir, ils sont plutôt les bienvenus. « Ils ont besoin de s’éloigner des adultes. S’ils ne le font pas dehors, ils peuvent le faire sur écran. Avec les jeux vidéo, ils peuvent s’immerger dans des univers dont les adultes de leur entourage sont absents, prendre des risques en ligne. » Selon Peter Gray, les réseaux sociaux existent pour permettre aux enfants et ados de communiquer sans avoir leurs parents sur le dos… Il poursuit ainsi : « On nous accordait, quand nous étions enfants, une confiance que nous n’accordons pas à nos propres enfants. Croire que les enfants et même les ados sont incapables de prendre des décisions rationnelles devient une prophétie autoréalisatrice. En les confinant dans des cadres supervisés par des adultes, on les prive du temps et des occasions dont ils ont besoin pour se prendre en charge. Ils finissent par le croire eux aussi… » Guillemette Faure, qui relate pour Le Monde les propos de Peter Gray ci-dessus, conclut ainsi : « Il cite notamment tous les indicateurs de bonheur et de santé mentale en déclin chez les enfants comme chez les adolescents occidentaux. Un des critères essentiels pour être heureux, c’est d’avoir le sentiment d’exercer un contrôle sur sa vie. Comment des enfants peuvent-ils apprendre à se relever s’ils n’ont plus jamais l’occasion de tomber ?13»
1 https://www.happy-milk.fr, association lancée par quatre mamans sur Instagram pour les futurs parents qui se sentent isolés dans leur parentage (combinaison des mots parentalité et maternage).
2 Je me suis abstenue volontairement de parler des risques et dérives possibles ici puisqu’un article y est consacré p. 54-55-56 de ce hors-série.
3 in real life, dans la vie réelle.
4 Propos rapportés par le site https://www.cidj.com/vie-quotidienne/psycho-sante/benefices-des-jeux-video-developpement-de-la-memoire-de-la-coordination-de-la-creativite
5 https://www.ted.com/talks/daphne_bavelier_your_brain_on_video_games
6 https://www.cairn.info/revue-societes-2003-4-page-5.htm
7 https://www.facebook.com/brutofficiel/videos/1702033959922099/
8 Collaboration for Academic, Social and Emotional Learning, https://casel.org
9 https://cursus.edu/articles/26355/les-jeux-video-pour-acquerir-des-competences-sociales
10 Revue Sociétés 2003/4 (n° 82), Michel Nachez et Patrick Schmoll.
11 Un exemple parmi d’autres : @the_truth_is_not_pretty.
12 https://www.youtube.com/watch?v=1xTa_2WhU4w
13 https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/05/13/et-si-on-lachait-la-bride-a-nos-enfants_4919151_4497916.html