
- Article issu du numéro 92 – Nature, terre de jeux
C’est une question, malheureusement banalisée, à laquelle nous sommes régulièrement confrontés, en tant que consommateurs. J’y réponds par un « qu’importe » qui, bien souvent, surprend. Oui, qu’importe, tant que cela correspond aux centres d’intérêts de mes enfants ; un garçon et une fille d’âges rapprochés. Ils se partagent les mêmes jeux, et ne font pas de distinctions de genre parmi ceux qu’ils ont. À l’inverse de mon entourage, auprès de qui j’ai longuement bataillé pour ne pas tomber dans les cadeaux stéréotypés.
En tant que parent, il est parfois difficile de faire entendre raison auprès des siens, sur l’éducation que l’on souhaite pour ses enfants. Je me heurte souvent à de l’incompréhension, tant les représentations sexuées, imposées par les fabricants de jouets, sont ancrées. L’on me répond qu’il n’y a pas de mal à offrir des déguisements de princesse à une petite fille et de chevalier à un petit garçon, alors même que je suggérais des déguisements d’animaux. Et qu’il n’y a pas lieu de s’offusquer du choix de « la poupée qui parle » pour ma fille, quand mon fils reçoit un jeu de construction. Alors, plutôt que d’argumenter une énième fois contre les idées reçues, je préfère regarder mes enfants jouer, et en déduire que chacun pioche ce dont il a besoin pour s’inventer des histoires. Finalement, le plus important, c’est qu’ils sachent que tout n’est pas binaire, ni rose ou bleu.
Quelle est ta couleur préférée ?
Je me souviens de la première réflexion sexiste à laquelle mon fils fut confronté, en première année de maternelle. Sa maîtresse lui avait donné pour consigne de colorier deux faces de papier, afin d’en faire une décoration de Noël. Fier du résultat, il la montra à un camarade de classe qui se moqua aussitôt, en déclarant que c’était des couleurs de fille. Lesdites couleurs sexuées étant l’orange et le violet. Au retour de l’école, mon fils était en larmes. Après l’avoir consolé, je le félicitai sur son choix de couleurs harmonieuses, et lui fit remarquer qu’il n’y a pas de couleurs, à proprement parler, qui soient plus spécifiques à l’un des deux sexes. Ce n’est là qu’une question de goût, et personne ne devrait avoir à y redire. Nous passâmes, ainsi, en revue les couleurs que nous aimions et constatâmes que le bleu n’arrivait qu’en dernière position de nos couleurs préférées. Non, les garçons n’étaient pas obligés d’en porter pour s’identifier comme tels. Mon fils sourit et déclara : « Oui, Papi a un pull rose et ma copine de classe un pantalon bleu foncé. » Si tout ceci nous apparaît évident, les goûts et les couleurs ne se discutent pas, il n’en reste pas moins des normes vestimentaires auxquelles il est encore difficile d’échapper.
« Elle serait tellement mignonne, avec une robe ! »
Je n’ai pas confectionné de trousseau particulier, à la naissance de ma fille. Mes enfants étant tous deux nés en été, j’ai pu réutiliser, les premiers mois, les affaires de son frère : des bodies et sarouels légers aux couleurs pimpantes. Vert, orange, rouge, violet. On me fît remarquer l’absence de robes. À cela, je répondais qu’un nourrisson a besoin d’être dans des vêtements confortables, sans que des pans de tissu trop longs ne le gênent dans ses mouvements. On m’offrit donc des bloomers fleuris, vêtements dont je ne comprenais pas l’usage. Pourquoi enserrer les petites cuisses de ma fille, alors qu’elle portait déjà un body ? Qu’à cela ne tienne, on m’offrit, à la place, des bodies roses ! Il y avait donc un message subliminal derrière tout cela, mon bébé était une fille, et il fallait qu’on la reconnaisse. Devant tant d’insistance, j’ai commencé à chiner des tuniques, un peu plus « féminines », que je ne réservais qu’aux visites et photos « officielles », histoire que l’on me fiche la paix. Elles n’étaient pas roses, mais je sentais un regard approbateur. Enfin, ma fille était habillée comme une « vraie » petite fille ! Aujourd’hui, elle a 6 ans. Elle porte aussi bien des robes, des pantalons, que des jupes par-dessus (ce qui suscite de nombreuses remarques). Elle aime le rose poudré parmi tant d’autres couleurs. Comme beaucoup d’enfants, elle voue une passion pour les licornes, qu’elle arbore sur ses chaussettes. C’est donc toute fière, qu’un matin, elle les prêta à son frère, pour aller à l’école. Et c’est tout aussi naturellement qu’il les mit, en la remerciant. Quelle ne fut pas sa surprise d’entendre les remarques d’un petit groupe d’élèves – dont des filles –, aussitôt passée la porte de l’école : « C’est des chaussettes de fille ! » Il a eu beau dire que sa propre sœur avait des chaussettes à l’effigie d’un super-héros, et que l’on pouvait aimer l’un et l’autre sans distinction de genre, l’argument n’a pas fait mouche. À la suite de cela, il n’a plus voulu les remettre.
À quoi joues-tu dans la cour ?
Dans l’école de mes enfants, la cour de récréation est souvent occupée par les joueurs de foot, jeu auquel ils ne jouent pas. Mon fils a essayé de s’y intéresser, voyant que c’était la seule occupation proposée lors des récrés. Mais il s’est vite fait renvoyer dans les cordes, avec pour seule explication que les équipes étaient déjà composées. Je lui demande s’il y a des filles, dans ces équipes. Non. Je cherche à en savoir plus sur leurs activités durant ces temps de pause, et ma fille me répond que soit elle joue à la corde à sauter, soit à la craie. Et parfois, des enfants apportent des jeux de cartes, mais que cela crée beaucoup trop de jalousie, alors c’est souvent interdit. Mon fils me dit que pour tromper l’ennui, il se met à courir et rejoint un petit groupe d’enfants, qui se courent tous les uns après les autres. « Vous jouez à chat ? » Fort heureusement, des initiatives locales1 voient le jour, où responsables d’établissements scolaires et élu·es locaux réfléchissent ensemble à une restructuration des cours d’école et à une meilleure répartition des espaces. Espérons que ces bulles d’espoir se distillent au niveau national, et que filles et garçons puissent jouer tous ensemble, sans la moindre remarque sexiste.
Pour aller plus loin :
Billy Elliot, film réalisé par Stephen Daldry, Working Title Film, BBC Films et Studio Canal (2000).
Féminin-Masculin, 100 films pour lutter contre les stéréotypes, films sélectionnés par La Fédération des Œuvres Laïques de la Drôme (2013).
Espace, film réalisé par Éléonor Gilbert, Film-Cabanes (2014).
Marre du rose, Nathalie Hense, Éditions Albin Michel Jeunesse (2009).
En avant les filles ! Débats et portraits, Sandrine Mirza, Éditions Nathan (2012).
La Dictature des petites couettes, Ilya Green, Éditions Didier Jeunesse (2014).
Renversante, Florence Hinckel, Éditions L’École des Loisirs (2019).
Fille, garçon, Hélène Druvet, Éditions Saltimbanque (2021).
La Petite histoire de la culotte, Anne-Marie Desplat-Duc, Éditions Talents Hauts (2021).
Podcast : https://anchor.fm/maternelledegenree