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Si allaiter est un choix individuel, il est également un choix de société. En effet, allaiter n’est pas seulement bon pour la santé du bébé et de la mère, mais également pour la famille, la société et la planète. Allaiter est une pratique écologique au sens généralisé du terme. Il s’agit d’un geste qui permet de prendre soin de soi, des autres et du monde. C’est un puissant renforçateur de relations dont dépend la diversité, elle-même condition de la résilience.

L’écologie est souvent pensée comme étant une philosophie et pratique visant à prendre soin de la « Nature ». Cette pensée est directement liée à l’idée de Descartes selon laquelle nous, humains, sommes différents de cette « Nature » et que nous en sommes « maîtres et possesseurs ». Or, en tant qu’humains, nous sommes partie intégrante de cette « Nature ». En tant qu’individus, nous faisons partie de l’environnement d’autrui et réciproquement. L’écologie ne peut donc plus seulement être pensée comme une attention et un soin portés à la « Nature » en tant qu’autre, mais également à l’humain et à soi. Félix Guattari parle d’écologie généralisée ou d’écosophie1. En bref, est écologique tout ce qui prend soin des relations, quelles qu’elles soient : humain/environnement, humain/animaux non humains, humain/humain, ancien humain/jeune humain, ainsi qu’à soi-même.

Du soin individuel à l’expérience de lien fort

Les bénéfices de l’allaitement maternel quant à la santé des bébés, bambins et enfants, ainsi qu’à celle des femmes, ne sont plus à démontrer. Le lait maternel est l’aliment le plus adapté au nourrisson, ce qui appuie l’idée selon laquelle l’allaitement est une pratique écologique.
Certains parents choisissent de ne pas allaiter leur bébé, argumentant que le père doit prendre sa place et que l’allaitement l’en empêcherait dans la mesure où l’alimentation est d’une grande importance pour le nouveau-né. Bien au contraire, je suis convaincue – et je constate – que, premièrement, l’allaitement n’empêche en rien une relation forte entre père et enfant et, deuxièmement, qu’un père a tout le loisir de venir entourer mère et enfant à chaque tétée si tel est son souhait ainsi que celui de la mère.

Si le père n’allaite pas, il est présent, et il n’y a aucune raison qu’un père soit plus éloigné de son enfant parce qu’il ne le nourrit pas, rôle auquel, a priori, les hommes n’ont biologiquement pas accès. Le lien avec le père peut se créer aussi grâce à l’allaitement. En effet, l’allaitement est une question de relation. Le lien très fort qui se crée avec la mère va être très fort avec toute la famille, car il s’agit d’une expérience de lien fort. Si celui-ci ne se fait pas avec la mère, il ne se fera pas forcément mieux avec une autre personne, alors que s’il se fait avec la mère, il pourra se faire avec le père, avec les frère(s), sœur(s), grand-mère(s), grand-père(s), ami.e(s), etc. Lorsqu’on a fait une expérience de lien fort, on peut le vivre avec d’autres, ce qui n’est absolument pas garanti dans le cas contraire. L’allaitement favorise donc l’attachement au père et à toute autre personne prenant soin du bébé. Et puis, en plus de l’allaitement, le père peut faire plein d’autres choses : dans la journée, il peut porter son enfant, de manière (très) intensive s’il le souhaite, le baigner, le câliner, le masser, etc., et la nuit il peut dormir contre son bébé.

Lien social aidé et favorisé

En plus de cette expérience de lien fort qui peut être transposée à toute personne prenant soin du bébé, l’allaitement est pratique. Une mère peut aller partout avec son enfant et allaiter sans problème où qu’elle soit. Et même si une certaine pudeur de la mère invite à penser le contraire, il existe des techniques pour allaiter très discrètement. Si vous êtes invitée chez des amis, la question de ce que mangera votre enfant ne se posera donc pas : le lait maternel est toujours disponible et prêt à être consommé, tout chaud. Aucun besoin de prévoir l’imprévu ! L’allaitement facilite le contact avec ses amis, et ce point est essentiel, car une femme qui reste en face à face avec son enfant pourrait se sentir isolée et seule à devoir répondre aux intenses besoins d’un nourrisson, sans pouvoir se ressourcer auprès d’autres humains.

L’allaitement permet d’expérimenter facilement un autre type de relation à l’enfant. On peut l’emmener facilement partout et ainsi continuer à avoir une vie sociale riche tout en partageant des expériences avec d’autres, sans être en face à face constant, mais en vivant côte à côte, ensemble. Le face à face qui semble la norme est selon moi une cause de l’épuisement et de la volonté de beaucoup de mères de faire garder leur enfant et de reprendre le travail pour se reconnecter à cette vie sociale. L’éloignement semble nécessaire pour souffler alors que rester proche est possible si on est avec les autres dans la mesure où l’entourage est la plupart du temps ressourçant et peut même être, pourquoi pas, aidant en lui permettant un relais.

Communication et confiance

L’expérience de l’allaitement va au-delà de la nourriture, des anticorps, des bienfaits pour la santé physique des individus. On expérimente quelque chose d’exceptionnel : savoir quand son enfant a besoin de téter. Ce n’est souvent pas à heure fixe même si parfois un rythme se prend. On apprend à en reconnaître les signes. Aucune nécessité d’attendre que son enfant pleure pour lui donner, on apprend la communication, on apprend à décoder et sentir quand son enfant a besoin de téter. C’est quelque chose qui s’expérimente, qui s’apprend et qui peut se reporter sur tout le reste, aux besoins d’élimination, par exemple, qu’on a coutume d’ignorer dans notre société, car l’on n’a pas idée qu’il est possible de communiquer aussi finement avec son enfant, etc.

Si l’on ne peut pas mesurer combien un enfant prend de lait maternel, il est nécessaire de lui faire confiance. Un bébé sait de combien il a besoin, il sait même à quelle fréquence stimuler sa mère pour obtenir la juste quantité de lait maternel. Faire confiance à son enfant dès la naissance revient à lui permettre de faire confiance à son tour, parce que c’est en ayant expérimenté cette confiance d’autrui en nous, et en ayant expérimenté nos capacités à nous autogérer, qu’on peut ensuite faire confiance à autrui en retour. Si une mère a observé son nourrisson et qu’elle a su répondre à son besoin, il saura à son tour observer et répondre au besoin des autres, apprenant l’écoute, informellement, dès son plus jeune âge. L’allaitement favorise donc le lien social. L’attachement permet le détachement. Si on laisse le temps aux enfants de prendre tout ce dont ils ont besoin, petit à petit, ils iront, reviendront, iront encore, puis reviendront et s’éloigneront en toute confiance. Avec l’écoute et la confiance que les parents leur témoignent, ils donnent la possibilité aux enfants d’évoluer à leur rythme. L’allaitement, même prolongé, plutôt que d’enserrer l’enfant, lui permet un ressourcement qui favorise l’autonomie par la confiance en soi.

Impact environnemental

L’allaitement est principalement une question de relations, et ce même quand il est question d’impact environnemental. J’aime faire un lien entre les AMAP2 et l’allaitement. L’allaitement permet une consommation au plus proche, à la source diront certain.e.s. De plus, le lait maternel est l’alimentation biologiquement prévue pour le petit humain. D’autre part, dans la mesure où la mère mange sainement, on peut considérer que le lait maternel est bio au sens où il est dépourvu de pesticides et intrants chimiques. La relation ressemble donc à celle recherchée dans les AMAP entre consommateurs et producteurs, ainsi que la qualité de l’aliment. De plus, production et consommation diminuent : pas d’emballage, pas d’industrialisation, pas de transport, pas de pétrole consommé, pas de surconsommation d’eau, pas de déchets, et pas de gaspillage puisque seul ce qui est consommé est produit.


1 Les Trois écologies, Félix Guattari, Éditions Galilée (2008).
2 Association pour le maintien d’une agriculture paysanne : www.reseau-amap.org

Mélissa Plavis Je suis maman de quatre enfants : Liam et Lissandro, des jumeaux (2006), Alawn (2009) et Elyssan (2012). Mes enfants "grandissent autrement" depuis leur naissance. J’ai vécu avec eux quelques expériences dont il question dans Grandir Autrement : césarienne, AVAC, accouchements à domicile, allaitement long, de jumeaux, co-allaitement, communication sur les besoins d'élimination (HNI), instruction en famille, unschooling. Et j’en ai vécu d’autres pour moi-même : connaissance de sa fécondité, contraception naturelle, flux libre instinctif, etc. Selon moi toutes ces pratiques sont reliées et ont un lien direct avec l'écologie. Je m'intéresse aux alternatives écologiques dans tous les domaines et en particulier sur les questions de parentage proximal, de parentalité écologique et d’écoféminité. Je suis auteure d’un ouvrage intitulé Apprendre par soi-même, avec les autres, dans le monde. L’expérience du unschooling, publié aux Éditions Le Hêtre-Myriadis en 2017. Je suis également doctorante en anthropologie à l’université Paris-Nanterre et je travaille sur la question de la parentalité dans les familles en unschooling. Je dis parfois que je suis accompagnante polyvalente dans la mesure où ma spécialité est l'accompagnement, qu'il s'agisse de femmes, d'hommes, de couples, d'enfants, de personnes handicapées ou âgées. J'ai commencé ma vie professionnelle en tant qu'éducatrice sportive handisport et sport adapté. J'ai également été animatrice LLL et animatrice portage au sein de l'association Peau à Peau. Je suis une slasheuse comme on dit aujourd'hui : doula, formatrice en portage physiologique, formatrice en planning familial naturel (connaissance de sa fécondité, contraception naturelle, désir d'enfant). De plus, je suis attachée à communiquer sur la gestion du flux appelé également le flux libre instinctif (ou encore les femmes sans couche, parce qu’il n'y a pas que les bébés qui y ont le droit). Lorsqu'on m'a proposé d'écrire dans Grandir Autrement, j'ai bien sûr accepté avec joie. Contribuer à un magazine mettant en lien parentalité et écologie (et donc aussi féminité) ne pouvait pas mieux tomber. Je prends donc depuis janvier 2016 un grand plaisir à y écrire pour partager mes expériences et les idées que j'ai pu développer tout au long de ma vie ou bien d'aborder des thématiques avec la perspective qui est la mienne et ainsi, en me découvrant, les réinterroger tant que possible. Parce que je crois que la diversité est la résilience et/ou que la résilience est la diversité, je suis heureuse de pouvoir exercer toutes ces activités qui, bien que différentes, restent liées par les valeurs qu'elles soutiennent et véhiculent. Une façon pour moi d'allier ces valeurs à ma vie professionnelle sans mettre de côté ma vie familiale.

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