
- Article issu du numéro 93 – Ensemble et solidaires
On en sait toujours plus sur les origines de l’humanité. Et une chose est de plus en plus claire : c’est la façon dont nous nous occupons de nos petits qui a fait de nous des humains.
Début janvier, un documentaire passionnant est passé sur France 5 : Kromdraai, à la découverte du premier humain1.
Sur ce site de Kromdraai (Afrique du Sud), le paléoanthropologue José Braga a récemment mis au jour les ossements de deux enfants ayant vécu à la même époque, il y a 2,5 millions d’années, l’un humain, l’autre paranthrope (l’un de nos proches cousins, comme son nom – « à côté de l’homme » – l’indique).
Cette découverte est primordiale, car on ne disposait pas jusqu’à tout récemment de fossiles d’hominidés datés d’entre trois et deux millions d’années. Et l’on ne s’expliquait pas pourquoi les paranthropes, ou « Australopithèques robustes », s’étaient éteints il y a un million d’années, alors que le genre Homo, plus fragile, a prospéré et s’est répandu sur toute la planète, comme on sait.
Dans le documentaire, le scientifique explique que c’est la façon dont les petits étaient élevés et en particulier l’âge auquel ils étaient sevrés qui a fait la différence.
L’âge du sevrage
Grâce à l’analyse de l’émail des dents2, les chercheurs ont pu montrer3 que « les enfants des premiers Homo étaient allaités dans des proportions significatives jusqu’ à environ trois ou quatre ans, ce qui a probablement joué un rôle dans l’apparition de traits spécifiques à la lignée humaine, tels que le développement du cerveau. En revanche, les nourrissons de Paranthropus robustus, qui ont disparu depuis environ un million d’années et constituaient pourtant une espèce plus robuste en termes d’anatomie dentaire, de même que les nourrissons d’Australopithecus africanus, cessaient de boire des quantités appréciables de lait maternel au cours des premiers mois de la vie »4.
Sevré tardivement, et donc plus protégé et éduqué, Homo a survécu et a développé son intelligence notamment grâce à l’allaitement long !
S’occuper des enfants a rendu les humains plus intelligents
Cette découverte vient en fait recouper l’hypothèse de Steven Piantadosi et Celeste Kidd, deux universitaires américains de l’Université de Berkeley (Californie), pour lesquels la nécessité de soins complexes et prolongés aux petits aurait stimulé l’intelligence des adultes.
Pour aboutir à cette conclusion, ils ont comparé différentes espèces de primates, et montré un lien quasi linéaire entre le degré d’intelligence d’une espèce et l’âge du sevrage de ses petits, depuis les ouistitis qui ne sont allaités que quelques mois et sont considérés comme peu intelligents, jusqu’aux chimpanzés dont les petits ne sont indépendants que vers 3-4 ans et dont l’intelligence est proche de la nôtre5.
L’extrême dépendance du bébé humain, en obligeant les parents à en prendre soin pendant plusieurs années, a permis à la fois la socialisation et la transmission des connaissances, des savoir-faire, etc., et a fait que l’être humain est ce qu’il est… et pas un poisson (à part son capital génétique, on ne peut pas transmettre grand-chose quand on ne fait que pondre et féconder des centaines d’œufs qu’on laisse ensuite se débrouiller…) !
1 https://www.francetelevisions.fr/et-vous/notre-tele/a-ne-pas-manquer/kromdraai-a-la-decouverte-du-premier-humain-8897
2 Plus précisément les proportions des isotopes stables de calcium, qui sont fonction de la consommation de lait maternel par les enfants.
3 Théo Tacail, Jeremy E. Martin, Florent Arnaud-Godet, J. Francis Thackeray, Thure E. Cerling, José Braga, Vincent Balter, « Calcium isotopic patterns in enamel reflect different nursing behaviors among South African early hominins », Science Advances 2019.
4 « First human ancestors breastfed for longer than contemporary relatives », https://www.sciencedaily.com/releases/2019/08/190829115427.htm
5 « Extraordinary intelligence and the care of infants », Proceedings of the National Academy of Sciences 2016 ; 113(25) : 6874-9.